François Fillon et la justice, le bras de fer

François Fillon a estimé mercredi qu'il n'était "pas traité comme un justiciable comme les autres".
François Fillon a estimé mercredi qu'il n'était "pas traité comme un justiciable comme les autres". © AFP
  • Copié
, modifié à
Le candidat LR a annoncé mercredi qu'il se rendrait à la convocation des juges en vue d'une mise en examen, mi-mars,  tout en ne cessant de tacler une justice qu'il estime instrumentalisée.

La procédure s'accélère, et les mots se font plus durs. Un mois après les révélations du Canard enchaîné sur les emplois fictifs présumés de son épouse, et cinq jours seulement après la décision du parquet national financier d'ouvrir une information judiciaire, François Fillon a appris mercredi qu'il était convoqué par trois juges d'instruction en vue d'être mis en examen, le 15 mars. Dans une courte allocution aux médias, le candidat LR a dénoncé une mesure prématurée et une procédure "entièrement à charge", se tenant à sa rhétorique adoptée depuis le début du scandale.

"Pas un justiciable comme les autres". "Depuis le début et contrairement à ce qui a été dit, je n'ai pas été traité comme un justiciable comme les autres", s'est ému François Fillon devant les caméras, énumérant les éléments qu'il en tient pour preuves : "L'enquête préliminaire a été ouverte en quelques heures. Les procès-verbaux, contrairement à la loi, ont été immédiatement communiqués à la presse, sans qu'à aucun moment le garde des Sceaux ne s'en émeuve. L'État de droit a été systématiquement violé. Les arguments de droit (...) ont été écartés d'un revers de la main."

" L'État de droit a été systématiquement violé "

Plus rares dans la bouche du candidat lui-même, ces arguments sont ceux des avocats du couple Fillon depuis l'ouverture d'une enquête préliminaire par le parquet national financier (PNF), le 25 janvier dernier. Le 9 février, ces derniers avaient demandé à la juridiction de se dessaisir de l'enquête, jugée "illégale". Ils estimaient notamment que le délit de détournement de fonds publics ne pouvait être reproché à un parlementaire, que les fuites dans les médias étaient "systématiquement à charge" et que les investigations portaient "une grave atteinte au principe de la séparation des pouvoirs". 

Un cas sans autre exemple. Cet "emballement" est un autre des éléments de langage les plus importants de François Fillon. Le candidat dénonce d'abord une ouverture très rapide d'information judiciaire - probablement liée à l'entrée en vigueur, la semaine prochaine, d'une loi sur la réforme de la prescription, qui aurait pu concerner certains des faits qui lui sont reprochés. Mais pour le député de Paris, la précipitation ne s'arrête pas là : "il est sans exemple, dans une affaire de cette importance, qu'une convocation aux fins de mise en examen soit lancée quelques jours à peine après la désignation des juges, sans qu'ils aient pris connaissance du dossier, sans procéder à des investigations supplémentaires, sur la simple base d'un rapport de police manifestement à charge. C'est à dire, pour condamner."

Pour le candidat LR, les seuls cas de procédure aussi rapide "que l'on connaisse sont ceux où les personnes reconnaissaient les faits et demandaient leur mise en examen pour avoir accès au dossier". Une référence à l'affaire Cahuzac, lorsque le ministre du Budget de l'époque avait avoué avoir un compte en Suisse, demandant à être entendu rapidement par les juges. À noter cependant que la juridiction qui s'est saisie de l'affaire Fillon, le PNF, n'existait pas à l'époque : il a été créé en réaction même au scandale Cahuzac. Depuis, ce "super-parquet" a ouvert plusieurs enquêtes préliminaires très rapidement. Dès le lendemain des révélations sur les "Panama Papers", des investigations pour "blanchiment de fraudes fiscales aggravées" ont ainsi été entamées. Mais le caractère inédit de la situation ne permet pas de comparaison dans le cas d'un candidat à l'élection présidentielle, inquiété à quelques mois seulement du scrutin.

Un appel sur les "irrégularités" refusé. Tenant pour preuve le choix de la date de son audition par les juges, prévue deux jours avant la date limite de dépôt des parrainages, François Fillon estime pourtant que la justice tente de "(l)'empêcher de se présenter à l'élection présidentielle". Sur ce point, il est important de rappeler que les magistrats se sont vu confier le dossier vendredi, et que le délai entre la remise de la convocation devant un juge d'instruction et l'audition en elle-même ne peut légalement pas être inférieur à dix jours. S'ils avaient voulu entendre François Fillon cette semaine, les magistrats instructeurs n'en auraient pas eu le droit.

" Je suis respectueux de nos institutions  "

En réaction à cette convocation, François Fillon indique que ses avocats ont "demandé à ce que la chambre d'instruction de la cour d'appel statue immédiatement sur les irrégularités nombreuses et graves de la procédure", ce qui leur a été refusé. Le candidat LR précise enfin qu'en dépit de ses critiques contre une procédure "à charge", il n'optera pas pour la même stratégie de Marine Le Pen, qui a choisi de ne pas se rendre chez les juges avant la fin de la campagne  dans le cadre de l'enquête sur le financement du FN. "Je me rendrai à la convocation des juges", assure le député de Paris. "Je suis respectueux de nos institutions, je ne désespère pas de la justice même si ce que nous venons d'en voir n'est pas de nature à nous rassurer."

Des magistrats "indépendants" pour Urvoas. Et la réaction des principaux intéressés ne s'est pas faite attendre. "Le travail en cours des magistrats n'a pas à être commenté", a estimé le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, mercredi. "Je ne fais que redire une évidence. Nous sommes dans une République où les juges, les magistrats sont gardiens du droit, donc il ne peut pays y avoir plusieurs justices", a ajouté le garde des Sceaux dans un communiqué. Et d'ajouter : "Les juges d'instruction conduisent leurs enquêtes en toute indépendance, de manière collégiale, dans le respect du contradictoire et de la présomption d'innocence." 

Le président de la République lui-même s'est ému de ces propos dans un communiqué, mercredi après-midi. "Une candidature à l'élection présidentielle n'autorise pas à jeter la suspicion sur le travail des policiers et des juges, à créer un climat de défiance incompatible avec l'esprit de responsabilité, et, pire encore, à lancer des accusations extrêmement graves contre la justice et plus largement nos institutions", a estimé François Hollande. 

 

"La suite logique de la procédure" pour l'Union syndicale des magistrats

Interrogée par Europe 1 mercredi soir, la présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM), Virginie Duval, a critiqué des propos "inadmissibles" de François Fillon. "On laisse penser que c'est la justice qui fomente un coup d'État. La réalité c'est que des faits ont été révélés, qu'il faut une enquête et que ceci n'est que la suite logique de toute la procédure qui a déjà été entamée", a-t-elle poursuivi. "La justice n'interfère pas dans la campagne, elle fait son travail", a encore estimé la magistrate, pour qui "Monsieur Fillon est un justiciable comme un autre".