L'affaire Flavie Flament et la mémoire boomerang

© ALAIN JOCARD / AFP
  • Copié
C.P. , modifié à
Flavie Flament a reconnu aujourd’hui que son violeur présumé n’est autre que le célèbre photographe de mode David Hamilton.

Pendant près de 25 ans, sa mémoire a été cadenassée, ses souvenirs profondément enfouis. Bien sûr, elle "pressentait quelque chose" mais évitait de s’aventurer dans cette "forêt sombre" qu’était son âme. Puis, un jour, tout est revenu. Des flashs, des sensations physiques, des odeurs. La peur, aussi. En retombant sur une vieille photo polaroïd, Flavie Flament s’est remémorée les viols dont elle avait été victime pendant l’été 1987. "C'est d'une violence incroyable car ces souvenirs cachés sont aussi intacts que lorsqu'on les a vécus. Il a fallu que j'accepte de revivre la terreur que j'ai ressentie à 13 ans, dans ce studio photo du Cap d'Agde", écrit-elle dans son livre témoignage La Consolation.

Dans son récit, l’animatrice ne livre jamais l’identité de son bourreau. Non pas qu’elle cherche à protéger son agresseur ou qu’elle ait oublié le nom du photographe derrière ce fameux polaroïd, mais parce que les faits sont prescrits par la loi. Pendant plusieurs semaines, elle a refusé de confirmer le nom qui a rapidement circulé sur les réseaux sociaux et dans les médias, de peur d’être poursuivie pour diffamation. Jusqu’à ce vendredi : oui, celui qu’elle accuse d’être son violeur est bien David Hamilton, le célèbre photographe britannique, aujourd’hui âgé de 83 ans, a-t-elle confiée à L'Obs. L’annonce n’est pas une surprise. L’homme s’était d’ailleurs déjà fendu d’un communiqué pour dénoncer "des propos diffamatoires". "Je suis particulièrement indigné par l'absence totale de respect de ma présomption d'innocence et par la volonté à peine dissimulée de certains de s'ériger en juges ou procureurs de la rumeur, si prompts à jeter les pires suspicions à mon égard."

Des témoignages similaires. Pourtant, à travers le témoignage de Flavie Flament, d’autres femmes se sont reconnues. Jeudi, Alice et Lucie ont confié à L’Obs avoir également été victimes du célèbre photographe, lorsqu’elles avaient respectivement 14 et 13 ans. Elles décrivent un mode opératoire similaire. L’animatrice a été repérée alors qu’elle "mangeait un banana split", sur le port, à la terrasse d’un restaurant. Alice était sur le balcon de l’appartement familial, dans le village naturiste. Lucie, sur la plage avec ses parents. A chaque fois, les parents sont ravis et flattés que leur fille soit remarquée par un photographe de mode aussi prestigieux.

Il faut dire qu’au Cap d’Agde, où il possède un appartement, David Hamilton est une sommité. Ses photos font le tour du monde. Il "shoote" les plus grandes, les plus belles. Celles qui font la Une des magazines. Chaque jour, il arpente la ville à la recherche de nouveaux modèles. "Quand il nous a proposé de faire un essai, mon père était tellement fier, ses yeux brillaient !", confie Alice à l’hebdomadaire. Les parents déposent leurs filles puis s’en vont. De notoriété publique, le photographe préfère travailler seul. Sa réputation rassure.  Les trois femmes décrivent un mode opératoire similaire. Les caresses qui dérapent, les attouchements, les pénétrations. La sidération et la culpabilité. Toutes racontent n’avoir pas osé en parler. Qui les auraient cru, elles, les ados contre un homme mondialement connu. "Quand, enfant, on n'est pas entouré d'adultes qui nous protègent et repèrent les signaux de danger pour nous, on doute de sa propre perception, alors on se sent coupable et l'on se tait", assure Flavie Flament.

Prescription. En 1997, pourtant, Alice porte plainte. Soit une dizaine d’années après les faits. Une confrontation est organisée. David Hamilton nie. Comme souvent dans ce type d’affaires, c’est parole contre parole. En l’absence de preuves, l’affaire est classée sans suite. En parlant de ce qui lui est arrivé, Flavie Flament espère que la parole se libérera. "Toutes les femmes qui ont été victimes de David Hamilton dont la féminité et l’innocence ont été piétinées, je les invite à nous joindre car on n’est pas les seules, il y en a  d’autres c’est évident (…) ensemble on pourra (…) agir et être entendues, on ne peut pas laisser ce genre de crimes impunis", assure l’animatrice dans une interview vidéo à L’Obs.

Se battre, mais comment ? La prescription en matière de viols sur mineur est portée à 20 ans à partir de la majorité. En clair, une victime a jusqu’à 38 ans pour porter plainte. Au-delà, l’affaire est pénalement prescrite. Elle peut néanmoins engager une procédure au civil afin d’obtenir des dommages et intérêts. Aujourd’hui, Flavie Flament se bat pour que la prescription passe à 30 ans. Pour qu’enfin, elle puisse être reconnue en tant que victime.