En prison, une approche "pluridisciplinaire" pour détecter la radicalisation

En prison, l'accent est désormais mis sur la détection des profils radicalisés (photo d'illustration).
En prison, l'accent est désormais mis sur la détection des profils radicalisés (photo d'illustration). © Philippe LOPEZ / AFP
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Salomé Legrand avec M.L
Le Premier ministre Édouard Philippe devrait annoncer vendredi le doublement du nombre de quartiers d'évaluation de la radicalisation en prison. Le but : mieux prendre en charge les détenus selon leur profil.
L'ENQUÊTE DU 8H

 

C'est une priorité nationale depuis la vague d'attentats djihadistes de 2015. Vendredi, le Premier ministre Édouard Philippe, en déplacement dans le Nord, doit présenter un plan gouvernemental de lutte contre la radicalisation. Un important volet concerne les prisons, foyers de "contagion" de l'idéologie djihadiste. Pour prévenir ce phénomène, les autorités mettent l'accent sur la détection des profils terroristes. Cette stratégie découle de l'échec des unités dédiées dans les prisons, au sein desquelles prosélytes et recruteurs étaient regroupés. En septembre 2016 à Osny, deux surveillants avaient été blessés par un pensionnaire radicalisé de l'une de ces unités. 

Du suivi collectif à l'hyper-individualisation. La philosophie a désormais changé du tout au tout. Terminé les quartiers où l’on regroupait les détenus radicalisés avec des activités collectives, l'accent est désormais mis sur l’évaluation. Un par un, les détenus doivent être jaugés au sein de quartiers d'évaluation de la radicalisation (QER), avant d'être orientés en fonction de leur profil. Ces quartiers sont actuellement au nombre de trois, au sein des prisons de Fresnes, Fleury-Mérogis et Osny. Le gouvernement prévoit leur doublement d'ici la fin de l'année. 

Dans ces quartiers, dotés de 12 places chacun, les détenus sont passés au crible par des spécialistes représentant différents corps de métier, comme des psychologues ou des éducateurs. Au cours de longs entretiens individuels, ces professionnels doivent déterminer leur degré d'embrigadement. "On discute sur leur vie avant l'incarcération, ce qui les a conduits à passer à l'acte", explique Philippe Obligis, directeur de la prison de Fresnes. "On aborde aussi le fait religieux, on essaie de cerner le plus possible la personne."

Détecter les "signaux faibles". Lors de ces entretiens, les spécialistes cherchent à déceler chez les détenus d'éventuels signaux "faibles", moins évidents que des changements soudains, et qui peuvent indiquer une radicalisation dissimulée. Un discours stéréotypé, une volonté de s'éloigner des lois de la République, un comportement asocial ou une certaine nervosité peuvent, entre autres, leur mettre la puce à l'oreille. "On a tout un tas d'indicateurs qui peuvent être un peu diffus, mais quand on les met tous ensemble, on commence à avoir des indices", détaille Cécile Martrenchar, directrice du centre national d'évaluation de Fresnes, et rompue à l'observation des détenus. L'experte met en avant la pluridisciplinarité : "on croise les regards, et il y a forcément un moment où on va constater que quelque chose nous interpelle."  

Et après ? Au bout de quatre mois d'évaluation, l'administration pénitentiaire a trois options. La première consiste à replacer le détenu dans le schéma de détention classique. La seconde, à le faire intégrer un quartier pour détenus violents, avec plus de sécurité et de personnels. Depuis leur grève de janvier, consécutive à l'agression de trois d'entre eux par un prisonnier djihadiste à Vendin-le-Vieil, les surveillants pénitentiaires ont obtenu que ces quartiers soient totalement séparés du reste des prisons, afin que les détenus ne se croisent jamais. Enfin, la troisième option concerne les détenus les plus dangereux, notamment en termes de prosélytisme, qui sont placés à l'isolement. Selon nos informations, cette situation concerne actuellement 72 personnes.

513 évaluations d'ici la fin de l'année. Mais cette situation interroge les professionnels, dont certains se demandent si "on ne va pas en faire des bêtes". L'isolement est-il une solution satisfaisante pour gérer des détenus déjà enfermés dans une idéologie radicale ? Et surtout, le système peut-il absorber tous les détenus susceptibles d'être radicalisés ? L'objectif affiché par le gouvernement est d'avoir évalué les 513 personnes incarcérées pour des faits d'association de malfaiteurs terroriste d'ici la fin de l'année. Viendront ensuite les 1.120 détenus reconnus coupables de faits de droit commun et suivis pour radicalisation.

>>> Le plan anti-radicalisation concernera aussi le milieu "ouvert", le suivi des personnes hors de prison. Retrouvez la deuxième partie de notre enquête.