Don de sperme : faut-il conserver la règle de l'anonymat ?

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Fabienne Cosnay , modifié à
Une jeune femme, née par don de sperme, demande en justice la levée de l'anonymat pour connaître son géniteur. Mais peut-il y avoir une vérité procréative ?

Chacun a-t-il le droit de savoir qui est son parent biologique ? Cette délicate question était examinée mercredi par le Conseil d'Etat, la plus haute juridiction administrative du pays. Audrey, 35 ans, a appris il y a six ans qu'elle était née d'un don de sperme. Depuis, la jeune femme, avocate de profession, s'est lancée dans une longue bataille judiciaire. Son combat : obtenir des informations sur son père biologique et donc demander à la justice française de lever, au moins partiellement, la règle de l'anonymat qui prévaut en France pour tout don de sperme ou d'ovocytes.

"Anonymat ne veut pas dire secret". Depuis 1973 et la création des banques de sperme en France, 50.000 enfants sont nés grâce à des dons collectés auprès de 11.000 donneurs, selon les chiffres fournis par les associations. En France, le don de sperme repose sur trois piliers : il est volontaire, gratuit et… anonyme.

Contacté par Europe 1, le professeur Louis Bujan, spécialiste en médecine de la reproduction et ancien président des fédérations des Cecos (Centres d'études et de conservation des œufs et du sperme) met en garde contre cette vérité procréative et cette volonté de transparence à tout prix. "L'anonymat ne veut pas dire secret", souligne le spécialiste, qui insiste sur l'importance pour les parents d'informer l'enfant de son mode de conception dès qu'il est en âge de comprendre.

Un projet de loi rejeté en 2010. Pour autant, par respect pour la vie privée du donneur et de sa famille, le don de sperme doit rester anonyme, défendent les spécialistes de l'infertilité. "La société s'est déjà prononcée sur cette question", rappelle le professeur Bujan. En 2010, en effet, la ministre de la Santé Roselyne Bachelot défendait une révision de la loi bioéthique et du sacro-saint principe d'anonymat. A l'époque, Jean Leonetti, rapporteur du projet de loi sur la bioéthique, s'y était farouchement opposé : "Permettre, même sous certaines conditions, la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes est une mauvaise idée. (…) Elle risque, d’une part, de pousser les parents à ne pas révéler à l’enfant les conditions de sa conception. Par souci de transparence, on renforce en réalité le secret", argumentait alors le député UMP. Au final, la levée de l'anonymat n'a jamais été votée par les députés et sénateurs.

Un risque de chute de dons ? Au-delà des questions éthiques, l'argument avancé par les défenseurs de l'anonymat est le risque d'une chute des dons, déjà trop rares aujourd'hui. "Quand on interroge les donneurs, 70% nous disent que l'anonymat favorise leur démarche de candidature au don", indique le professeur Louis Bujan. "On peut rouvrir le débat mais pas de cette manière là", tranche le spécialiste en médecine de la reproduction.

Les enseignements étrangers. Aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Suède ou encore en Suisse, l'anonymat sur les dons de gamètes a été levé. De l'autre côté de la Manche, le 1er septembre, la banque nationale du sperme britannique lançait un vibrant appel aux hommes de bonne volonté et se désolait de n'avoir que… neuf donneurs. Mais de l'avis même des spécialistes, cette pénurie ne peut s'expliquer uniquement par la levée de l'anonymat dans le pays en 2005. En revanche, le profil des donneurs de sperme a bel et bien changé. Fini les "étudiants qui faisaient ça sur un coup de tête et n’avaient pas envie d’avoir à s’expliquer" explique au Journal du dimanchele Pr Lieberman, de Manchester. Place aux "pères de familles responsables et altruistes".