Dix ans après, le groupe de Tarnac lutte toujours dans un village divisé

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Théo Maneval, édité par A.H. , modifié à
Alors que s'ouvre mardi le procès en correctionnelle du "groupe de Tarnac", Europe 1 s'est rendu dans ce village de 300 habitants, en Corrèze, sur le plateau de Millevaches.
L'ENQUÊTE DU 8H

Est-ce bientôt la fin d'un feuilleton judiciaire qui dure depuis maintenant dix ans ? Huit militants du groupe dit "de Tarnac", dont Julien Coupat et Yldune Lévy, sont jugés à partir de mardi devant le tribunal correctionnel de Paris dans le cadre de cette affaire de dégradations de ligne TGV, présentées à l'époque comme des sabotages terroristes menés par des membres de "l'extrême gauche radicale".

La spectaculaire opération policière au petit matin, en novembre 2008 à Tarnac, avait nourri tous les fantasmes sur l'existence d'un groupe anarchiste dans cette petite bourgade de Corrèze, sur le plateau de Millevaches, lieu historique de résistance. Europe 1 a passé plusieurs jours dans ce village de 300 habitants, qui n'a pas vraiment changé en une décennie.

Un militantisme toujours ancré. Tarnac et ses vieilles maisons en pierres, ses rues toujours aussi paisibles. Au "Magasin général", cette épicerie-restaurant perquisitionnée de façon spectaculaire en 2008, une communauté de quelques dizaines de militants continue de se retrouver. Benjamin Rosoux, l'un des huit activistes jugés à partir de mardi, en est toujours le gérant. À l'intérieur du "Magasin général", Antoine et Jeanne expliquent les raisons qui les ont poussés à venir s'installer à Tarnac. "Critiques de l'industrialisation à outrance, de la destruction du vivant", tous deux souhaitaient "essayer de trouver des formes de vie non-marchandes, faire de la ferme, de l'élevage…" En clair : "penser en dehors d'un système qui veut absolument que l'économie, ce soit 'pointer chez le patron et acheter à Carrefour'", estime Jeanne.

Tarnac magasin general

"Un monde dont on ne veut pas". Sur les tables l'après-midi, on fait le point sur la prochaine manifestation, et on peint les banderoles. Les militants de Tarnac continuent d'exister surtout par la lutte : combats locaux contre la déforestation, accueil de migrants sans-papiers… "On est aussi proches de Bure depuis trois ans", complète Jean-Pierre au micro d'Europe 1. Avant cela, le militant s'est battu pendant huit ans contre le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes. "C'est ce monde dont on ne veut pas. On est sur des problèmes globaux, on n'est pas juste pour 'protéger notre jardin'", assure-t-il.

Tarnac manif deforestation

"Des manifestations dures", "pas terroristes". Si la lutte perdure, les modes d'action restent flous. Recours à la violence ? Sabotage ? Ou méthode pacifique ? Certains militants assurent privilégier la dernière option, mais d'autres préfèrent rester plus vagues, à l'image de Benjamin Rosoux. "Je pense que chaque lutte définit ses manières d'agir, et que chaque moment impose des manières d'agir différentes. Il n'y a pas de position idéologique à avoir là-dessus", soutient-il. Finalement, les plus transparents sur le sujet sont ceux qui se sont un peu éloignés de Tarnac. Valérie et Emmanuel ont côtoyé le groupe pendant quinze ans, avant de déménager. "Ce sont des femmes et des hommes qui sont prêts à aller au combat pour leurs propres idées. Qui sont capables de ruer dans les brancards et de faire des actions délictueuses. Des manifestations dures. Mais 'terroristes', non, jamais je n'ai pensé ça !", défendent-ils.

Une fracture au sein du village. Les activistes continuent de côtoyer la population "historique" de Tarnac, et la cohabitation n'est pas toujours aisée. Certains apprécient ces "jeunes", à l'image d'André, qui vit dans le village depuis 61 ans. Selon lui, ils ont sauvé Tarnac, en empêchant notamment la fermeture de l'école, en 2012. "Il y a des jours où l'épicerie et le bar sont pleins ! Ils font vivre le pays", s'enthousiasme-t-il. Deux membres du "groupe" ont même été élus au conseil municipal en 2014. Mais pour d'autres habitants, comme Éléonore et Martine, vivre avec ces militants n'est pas si facile : "Si on n'est pas d'accord avec la manière dont ils pensent, on est exclus. Et ça a créé vraiment une mauvaise ambiance, qui n'existait pas avant. Si dans quelques années il n'y a plus que des jeunes comme ça à Tarnac, je ne resterai pas ici, c'est sûr !"

Tous suivront le procès, qui doit durer trois semaines, avec une même hâte : en finir avec cette histoire, qui met Tarnac sous le feu des projecteurs depuis déjà bien trop longtemps.