"Disparues de Perpignan" : des fausses pistes, deux auteurs et un ultime mystère

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Jacques Rançon comparaît à partir de lundi pour deux meurtres commis dans les années 1990. Un homme a été condamné pour un autre crime, tandis qu'une dernière disparition reste inexpliquée.

Elles sont quatre. Quatre jeunes femmes évaporées entre 1995 et 2001 dans les rues du chef-lieu des Pyrénées-Orientales, y instaurant un climat d'angoisse. Mais les "disparues de Perpignan" n'ont, selon toute vraisemblance, pas toutes croisé la route du même criminel. Quinze ans après la condamnation d'un premier homme, reconnu coupable de l'un des meurtres, Jacques Rançon, 58 ans, accusé d'en avoir commis deux autres, particulièrement violents, comparaît aux assises à partir de lundi. Et 20 ans plus tard, une dernière disparition reste toujours non élucidée.

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Toujours dans le quartier de la gare. L'affaire commence le 24 septembre 1995. Tatiana Andujar, lycéenne de 17 ans, visage mince et cheveux noirs, arrive de Toulouse en gare de Perpignan. Pour rejoindre le domicile de ses parents, à une dizaine de kilomètres de la ville, la jeune fille décide de faire du stop. Elle n'arrivera jamais chez elle et ne donnera plus signe de vie. Dans un premier temps, les enquêteurs explorent toutes les pistes, y compris celle de la fugue. La disparition de la mineure, presque adulte, n'est pas immédiatement répertoriée comme inquiétante.

Mais deux ans plus tard, le 21 décembre 1997, un nouveau fait divers secoue la cité catalane. Le corps de Moktaria Chaïb, étudiante française de 19 ans, est retrouvé sur un terrain vague de Perpignan, dans le quartier de la gare. Comme Tatiana Andujar, la jeune femme a de longs cheveux bruns. En examinant le cadavre, la police découvre d'atroces mutilations. Les seins et les parties génitales de la victime ont été découpés, de façon presque chirurgicale.

Un chirurgien péruvien un temps soupçonné. Les deux affaires font l'objet de rapprochements. Et en janvier 1998, les enquêteurs pensent, une première fois, tenir leur suspect : un chirurgien péruvien au diplôme douteux, qui exerce à l'hôpital de Perpignan. L'homme, décrit comme marginal, présente un faux alibi à la police. Des traces de sang sont découvertes à son domicile… mais s'avèrent vraisemblablement d'origine animale. Après quelques mois de détention provisoire, le médecin est remis en liberté. Entre temps, un autre meurtre a été commis.

Marie-Hélène Gonzales, 22 ans, présente le même profil que les deux premières victimes. Disparue le 16 juin 1998, toujours près de la gare, elle est retrouvée morte dix jours plus tard, décapitée, amputée des mains et les parties génitales découpées. Mis hors de cause, le chirurgien est rentré en Espagne, où il mourra étranglé quelques années plus tard. La police française explore elle une nouvelle piste : celle d'Esteban Reig, un homme ultra-violent arrêté à Lyon, alors qu'il vient de découper son colocataire en morceaux. Toujours en possession d'un couteau, il vivait à Perpignan au moment des meurtres de Moktaria et de Marie-Hélène.

Un "roman policier" troublant. À nouveau, l'enquête rebondit avant que la piste ne soit pleinement explorée : alors que les policiers décortiquent la vie de Reig, Fatima Idrahou, caissière de 23 ans, disparaît à son tour à Perpignan en février 2001. Un mois plus tard, elle est retrouvée étranglée au bord de l'étang de Canet-en-Roussillon, dans les Pyrénées-Orientales. Le témoignage d'un directeur de magasin évite cette fois de lourdes investigations et permet d'identifier un suspect, âgé d'une trentaine d'années. Marc Delpech, gérant de bar, avoue immédiatement avoir agi sous le coup d'une pulsion, sa victime ayant refusé ses avances. Dans l'ambiance de psychose qui règne dans la région, une première disparition vient d'être élucidée.

Mais la police exclut rapidement tout lien entre Fatima, Marie-Hélène et Moktaria. La première n'a subi aucune mutilation, et le commerçant ne présente pas le profil d'un tueur en série. Chez lui, les enquêteurs découvrent pourtant une collection de coupures de presse sur les disparues de la gare. L'homme les justifie en expliquant envisager de se lancer dans l'écriture d'un roman policier. Dans une ébauche retrouvée à son domicile, il raconte sa rencontre avec une jeune fille prénommée… Tatiana.  

Deux tentatives de viol. Pour identifier le meurtrier des deux femmes violemment mutilées, il faudra attendre les progrès de la science : grâce à une trace ADN présente sur une chaussure de Moktaria, retrouvée un mois après le corps, un profil partiel est mis en évidence. Le 10 octobre 2014, une comparaison avec le fichier national des empreintes génétiques donne un nom : celui de Jacques Rançon, déjà condamné à plusieurs reprises pour agressions sexuelles. Dos au mur, le magasinier avoue les deux crimes ainsi que deux tentatives de viol, commises entre septembre 1997 et mars 1998, toujours à Perpignan.

Après des décennies d'enquête, les deux semaines de procès du quinquagénaire pourraient donner aux dossiers Marie-Hélène et Moktaria leurs épilogues respectifs. Quant à la première des "disparues", Tatiana Andujar, Jacques Rançon est hors de cause : il purgeait une peine pour vol à Amiens lorsque la jeune fille s'est volatilisée. En 2004, Marc Delpech a été condamné à 30 ans de prison le 18 juin 2004, pour le seul meurtre de Fatima Idrahou. Dans l'affaire Tatiana, les éléments à disposition des enquêteurs n'ont pour l'instant pas suffi à établir son implication.