DÉBAT - Faut-il interdire la corrida en France ?

La corrida fait partie intégrante des régions du sud de la France, pour ses aficionados.
La corrida fait partie intégrante des régions du sud de la France, pour ses aficionados. © ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
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Thibaud Le Meneec
Après la diffusion massive de la vidéo d'un taureau torturé lors d'une corrida, les voix s'élèvent à nouveau pour demander l'interdiction d'une pratique que ses défenseurs jugent noble. Les experts en ont débattu autour de Wendy Bouchard, lundi, sur Europe 1.
LE TOUR DE LA QUESTION

Elle a déjà récolté plus de 200.000 signatures en trois jours. Lancée par l'association 30 Millions d'amis, une pétition veut interdire la corrida en France. La raison de ce succès ? Une vidéo montrant un taureau torturé lors d’une corrida, partagée en masse sur les réseaux sociaux depuis plusieurs jours. Lundi, dans Le Tour de la question, sur Europe 1, plusieurs experts ont débattu de la question de l'interdiction de la corrida en France. Avec deux visions qui s'opposent clairement.

Ceux qui sont pour

"25% pour, ça suffit pour être président de la République". Pour André Viard, ancien matador, président de l’Observatoire national des cultures taurines, la vision qu'une majorité de Français est opposée à la corrida est une idée reçue : "S'il y a 75% de Français qui sont pour l'interdiction, ça veut dire qu'il y a 25% de Français qui sont pour. Cela suffit pour être président de la République. Il faut relativiser ces chiffres, qui sont complètement artificiels et qui ne reflètent pas la réalité. Il y a en France une immense majorité de gens qui sont indifférents sur ce sujet. Vous allez dans la rue, vous rencontrez des gens normaux et vous leur demandez ce qu'ils pensent de la corrida. "Je m'en fiche" est la réponse que l'on vous fera le plus souvent."

Le chiffre auquel se réfère André Viard est celui du résultat de la consultation des "fans" de la page Facebook d'Europe 1 : sur près de 28.000 personnes, 87% des votants sont favorables à son interdiction totale, contre 13% à être opposés à cette proposition.

>> De 9h à 11h, c’est le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l’émission ici

La corrida fait partie du patrimoine du Sud-Ouest. Pour David Habib, député PS des Pyrénées-Atlantiques favorable au maintien des corridas, c'est une "élite parisienne qui veut nous imposer un modèle de société qui ne correspond pas à la réalité de nos provinces. Dans le Sud-Ouest, nous avons une tradition tauromachique qui se manifeste à Bayonne, Dax, Orthez, qui fait la richesse de nos territoires. En même temps il y a une activité économique qui se développe. Dans une commune, c'est un moment marginal pendant trois, quatre jours. Je ne souhaiterais pas que cela disparaisse", argumente-t-il.

Interdire la corrida aux enfants n'est pas une priorité. Alors que le député LFI Michel Larive a déposé une proposition de loi en faveur de l'interdiction de la corrida aux enfants, "réponse à une demande légitime du comité des droits de l'enfant de l'ONU", selon lui, André Viard ne voit de caractère d'urgence dans cette mesure : "La protection de l'enfant est importante, mais on ne peut pas la regarder au travers simplement du problème de la corrida. Il faut la regarder au global. Commençons à protéger l'enfance dans tous les lieux où on voit que la violence existe et non pas avec un taureau, mais entre humains, avant de poser des questions à mon avis aussi inutiles et stupides", s'agace-t-il.

Ceux qui sont contre

Les taureaux souffrent. "La corrida, c'est l'art de cacher la cruauté par un esthétisme outrancier. On voit uniquement l'aspect esthétique pour ne pas choquer l'opinion publique. Le monde taurin se garde bien de montrer de façon explicite la souffrance de l'animal. C'est un déni systématique", dénonce avec véhémence Thierry Hély, directeur de la Flac (Fédération des luttes pour l’abolition des corridas).

Ce que conteste l'ancien matador André Viard. "Il y a des études qui montrent que la souffrance n'est pas appropriée pour parler des taureaux, c'est la douleur". Selon Éric Baratay, spécialiste du rapport hommes-animaux, auteur du Que sais-je ? sur la corrida paru en 1995, cette dichotomie existe bien. "Les bovins ressentent aussi la souffrance émotionnelle. Il faut que l'on s'entende sur un minimum. Si les aficionados refusent la notion de douleur et souffrance, il n'y a plus de débat possible. Ce sont les aficionados qui, dans les années 1990, ont commandé des études à des physiologistes et des neurologues pour voir s'il y avait souffrance ou pas, en espérant bien qu'on leur dirait qu'il n'y aurait pas de souffrance. Manque de chance : toutes les études ont dit qu'il y avait souffrance."  

La mise en mort est évitable. David Habib, favorable au maintien des activités tauromachiques, reconnait cependant que la corrida est "un moment sanglant". "Mais c'est quelque chose de tellement magnifique... Que l'on préserve l'intégrité animale ne me pose pas de problème. Moi je ne serais pas opposé par exemple à une non-mise à mort." Il est rejoint en ce sens par Éric Baratay : "Je pense que cette idée est tout à fait intéressante, ce serait l'avenir". "Plutôt que s'enferrer dans une fausse histoire, dans des contre-vérités, il vaudrait bien mieux se dire que la corrida actuelle bute devant un problème vis-à-vis de sensibilité des animaux et qu'il faut changer. Au 19ème siècle, les chevaux n'étaient pas protégés et un taureau tuait entre un et deux chevaux par corrida", rappelle enfin l'historien pour contrer l'idée d'une tradition figée dans le temps.