Pour Clément Fayol, spécialiste du financement du terrorisme, l'Etat islamique fonctionne comme une mafia 1:57
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Ugo Pascolo , modifié à
Pour Clément Fayol, co-auteur de "Un cartel nommé Daech", l'EI fonctionne comme une mafia et se nourrit de plusieurs sources de revenus très diverses, comme le trafic d'art.
INTERVIEW

"Assécher les sources de l'État islamique (EI) en asséchant les filiales de financement est simpliste". Invité d'Europe 1 bonjour vendredi, le journaliste Clément Fayol, coauteur d'Un cartel nommé Daech (First), réagit au propos d'Emmanuel Macron lors de la conférence "No money for terror" dans laquelle il a appelé à "assécher le terrorisme à la racine".

Du pétrole à l'art. "Par principe, les organisations comme l'EI préexistent à leurs moyens de financement", explique Clément Fayol. "Si elles perdent un moyen de financement, elles en trouveront un autre. C'est notamment le cas pour l'EI". "Quand l'État islamique a eu du mal à vendre son pétrole, elle est simplement passé à d'autres modes de financement, comme l'art ou des trafics plus classiques", détaille le journaliste. "Donc la conclusion d'Emmanuel Macron disant qu'il faut assécher les sources de financement de l'EI est un peu simpliste, car "l'État islamique fonctionne comme un cartel".

"Plusieurs entités très différentes collaborent avec l'EI sur un modèle mafieux", déroule-t-il au micro d'Europe 1. "La perte du territoire de l'État islamique n'a pas fait disparaître ces entités qui sont des sources de financement". "Elles ont répondu à un appel d'offre de l'EI et elles pourront le faire avec quelqu'un d'autre", analyse Clément Fayol. "C'est comme dire que l'on va faire arrêter le crime organisé, ou une certaine forme de trafic, ça me paraît compliqué". 

Les dons des particuliers. Mais l'EI se nourrit également d'une autre source de revenus : les dons. "On a vu des filières de classes moyennes saoudiennes qui envoyaient de l'or et des petits moyens, entre 500 et 10.000 dollars à l'EI", révèle le spécialiste. "Et c'est ça le gros du financement de Daech depuis l'Arabie Saoudite. Ça peut être le cas dans n'importe quel pays", prévient-il alors que le procureur de la République, François Molins, a révélé l'identification de 416 donateurs de l'EI ces deux dernières années, en France.

Une fortune difficile à estimer. Ce sont en partie ces multiples sources de revenus qui rendent difficile l'estimation du trésor de guerre de l'EI. "Personnellement, je ne peux pas la chiffrer", reconnaît Clément Fayol. "En général, on se met d'accord autour d'un milliard de dollars". "Dans tous les cas, nous avons identifié des filières de mise à l'abri du cash, on a également suivi des objets d'art mis en vente autour du million, c'est de ce genre de somme dont il s'agit", détaille le journaliste.

"La 'marque Daech'". "Mais il faut essayer de comprendre que c'est une question d'argent, mais pas seulement". "Le fait d'avoir existé comme territoire, d'avoir été pourvoyeur de réseaux, d'organiser des filières avec des intermédiaires, d'avoir fidélisé un certain nombre de personnes, ça n'a pas de prix, et ça donne une vraie existence à l'EI", analyse le spécialiste au micro d'Europe 1. "Je vois aujourd'hui certaines filières acheter des fonds de commerces en Belgique avec du cash, qui provient des cousins d'anciens responsables des ressources de l'EI". "La marque 'Daech' est donc très difficile à évaluer, mais elle vaut quelque chose en terme opérationnel", résume Clément Fayol. 

"La 'logistique Daech'". D'autant que l'EI a su adapter ses modes opératoires avec ses financements. "J'ai pu avoir accès au procès verbal de la CIA d'un djihadiste belge qui expliquait que depuis deux trois ans, la stratégie de l'EI a changé", dévoile le journaliste. "Désormais, l'idée c'est d’exciter des gens en France et en Europe, et ensuite de s'impliquer plus ou moins, en mettant la 'logistique Daech' au service de ces projets-là". "Cela peut aller de quelques composants pour les explosifs à quelques milliers d'euros, ce n'est pas très cher", révèle-t-il.