Comment la pornographie influence la sexualité des jeunes

92% des jeunes de 14 à 24 ans considèrent qu'il est facile d'accéder à des contenus pornographiques, selon une enquête publiée vendredi.
92% des jeunes de 14 à 24 ans considèrent qu'il est facile d'accéder à des contenus pornographiques, selon une enquête publiée vendredi. © AFP
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Selon une étude remise vendredi aux parlementaires, les adolescents sont de plus en plus nombreux - et de plus en plus jeunes - à consommer du porno. Ce qui ne manque pas de modifier leur rapport à la sexualité.

Entre 14 et 24 ans, un jeune sur cinq avoue en regarder toutes les semaines. La pornographie a beau exister depuis des siècles, son accès, plus libre et plus facile que jamais, a profondément bouleversé la consommation qu'en font les adolescents français. Une consommation toujours plus addictive, selon une enquête publiée vendredi dans Le Parisien, et remise dans la foulée aux parlementaires. Une consommation, surtout, qui tend à modifier leurs comportements et leurs représentations du corps. Celui des autres, mais aussi le leur.

Les jeunes font-ils l'amour plus tôt ?

La première visite sur un site porno se fait en moyenne à 14 ans et 5 mois. Soit trois mois de moins qu'en 2013, d'après une étude Ifop pour l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique.

Mais, contrairement aux idées reçues, l'âge du premier rapport sexuel n'a quasiment pas bougé depuis les années 1980. Il est toujours de 17 ans en moyenne pour les garçons et de 17 ans et demi pour les filles. Et cela pour la moitié d’entre eux. Plus que l'âge, ce sont en fait les pratiques qui ont changé.

À cet âge-là, peut-on faire la différence entre fiction et réalité ?

Interdire purement et simplement l'accès à la pornographie aux moins de 18 ans est sans doute un peu hypocrite, tant les vidéos à caractère sexuel sont à une portée de clics sur Internet. Reste qu'en-dessous de cet âge, les garçons comme les filles sont souvent encore dans la puberté. Autrement dit en plein développement psycho-sexuel. "C'est surtout cela qui est inquiétant. Car ils n'ont pas encore la maturité suffisante par rapport à ce qu'ils voient, mais aussi par rapport à ce qu'ils ressentent", juge Bénédicte de Soultrait, conseillère conjugale et sexologue, qui a mené l'an passé une enquête approfondie sur la question, à travers la plateforme Fil Santé Jeunes.

"On sait très bien que c'est du cinéma et que ce n'est pas la vraie vie. Heureusement", souffle pourtant Younès, du haut de ses 15 ans. Quand bien même, reprend la spécialiste. "Le problème, c'est que la sexualité, pour se construire, a besoin de beaucoup d'imaginaire. La pornographie, c'est un peu un 'viol de l'imaginaire', pour reprendre la formule d'une autre sexologue. Cela les met tout de suite face à des images, sans qu'ils aient eu le temps de s'imaginer par eux-mêmes ce qu'était la sexualité. Et l'image s'imprime très vite dans le cerveau. On dit qu'elle équivaut à 5.000 mots. Elle est donc très forte émotionnellement et marque beaucoup. Qu'on le veuille ou non".

Caroline Van Assche, psychologue et sexologue clinicienne en Gironde, ne dit pas le contraire : "Il y a très souvent une confusion entre la réalité, l'imaginaire et le fantasme". Cette confusion est nourrie, aussi, par la quantité de films dits "amateurs", qui ne reflètent souvent pas plus que les autres la réalité d'un rapport sexuel.

Les jeunes copient-ils ce qu'ils voient à l'écran ?

Près d'un Français sur deux (47%) a déjà tenté de "reproduire des positions ou des scènes" vues dans un film porno, selon un sondage Ifop réalisé en 2014. Un chiffre en progression par rapport à 2009, où ils n'étaient "que" 40%. Et cela n'épargne aucune tranche d'âge.

"En quelques années, les pratiques sexuelles des adolescents et même des adultes ont fortement été modifiées, à cause de cette pornographie", confirme Bénédicte de Soultrait depuis son cabinet de consultation. "Il y a beaucoup plus de fellations par exemple". Mais davantage que sur leur sexualité elle-même, la pornographie a une influence sur la représentation qu'ils en ont.

" La pornographie est le premier éducateur à la sexualité en France "

"L'autre jour, des jeunes de 13 ans m'ont demandé ce qu'était un 'bukkake' ou un 'fist'… On voit tout de suite que la pornographie se cache derrière", observe la sexologue. "On peut aussi se retrouver avec un petit bonhomme de 12-13 ans qui demande "est-ce que la première fois il faut faire tous les trous ?" ou "Est-ce que les filles ont vraiment envie de se faire baiser ?". 

Des questions très directes, très trashs, à l'image de ce que montre la pornographie. Du moins sur des plateformes telles que Youporn, Pornhub ou xHamster, particulièrement consultées par les adolescents, et en grande majorité dévolues à la domination masculine. Avec ce paradoxe : alors que deux tiers des filles sont d'accord avec l'idée que ces vidéos donnent une image négative de la femme, plus de la moitié jugent que les hommes ne s'y comportent pas pour autant comme des mâles dominants.

"La pornographie est le premier éducateur à la sexualité en France", avance Bénédicte de Soultrait, comme un début d'explication. Que vient compléter Valentine*, 16 ans : "Au début, je me disais que si ça ne ressemblait pas à ça, c'est que je ne faisais pas les choses bien ou que j'étais trop coincée…". Comprenez : si on ne se base que sur les sites pornographiques, comment savoir qu'il existe d'autres manières de faire les choses ?

"Quand on fait des animations avec les adolescents, ils évoquent à chaque fois ce qu'ils croient être 'la bonne pratique ': fellation, puis pénétration vaginale et anale. Ils ne sont ni dans la relation, ni dans l'élaboration, ni dans une réflexion sur ce dont ils ont envie. On est plus sur quelque chose qui sera très stéréotypé, très formaté", note encore Caroline van Assche, qui  intervient régulièrement au Planning familial et en milieu scolaire.

Un autre porno plus "éthique"

Une nouvelle vague a vu le jour ces dernières années dans le milieu du porno, plus "éthique" et plus féministe. Portés par la suédoise Erika Lust, la Mexicaine Lina Bembe, ou encore les françaises Lucie Blush et Carmina, ces films prônent la capacité à agir de manière autonome, selon ses envies et ses limites, et sont censés être moins caricaturaux.

Comment la pornographie modifie-t-elle le rapport à leur corps ?

Source d’excitation, la pornographie peut tout aussi bien être source d’angoisse pour les jeunes. "C'est sûr que ça met la pression, en quelque sorte. On se dit qu'il faut assurer pour durer longtemps et ne pas passer pour un naze", glisse Younès, qui assume être encore "puceau" à 15 ans. Lui qui assurait pourtant faire la différence entre le porno et la "vraie vie" vient de reconnaître à demi-mot que les performances des "hardeurs" ont un certain impact. 

Selon une enquête de l'Ifop en 2014, plus d'un tiers des garçons de moins de 25 ans admettent ainsi avoir été déjà été complexés par la taille de leur pénis en regardant un film porno. Certains souhaitent aussi obtenir, très jeunes, du Viagra. "On est plus sur la performance que sur la compétence. Et là encore, c'est complètement biaisé", souligne la sexologue Caroline Van Assche. "Quand je suis en consultation avec des hommes qui viennent pour des troubles d'ordre sexuel, il y a tout un travail à faire sur la représentation de la sexualité. Très souvent, elle est en lien avec leur construction de la sexualité au travers de la pornographie".

Chez les jeunes femmes, le constat est le même. Certaines avouent avoir peur de la pénétration après avoir vu des films où les hommes se montrent brutaux, d'autres se demandent si leur poitrine est assez grosse, leurs petites lèvres assez normales ou leurs pubis assez épilés. C'est ainsi que l'on constate une recrudescence des épilations intégrales ou semi-intégrales chez les ados filles. Des pratiques directement puisées dans le porno, selon les esthéticiennes.

"Le problème, c'est la pornographie sur les mineurs face au néant de l'éducation sexuelle en France", regrette enfin Bénédicte de Soultrait, selon qui "il n'y a pas d'autre alternative pour les jeunes aujourd'hui". Depuis 2003, la loi prévoit que chaque élève, de la sixième à la terminale, assiste à trois séances d'éducation sexuelle par an. Dans les faits, elle n'est que très rarement appliquée.

*Le prénom a été modifié