Comment raconter la Shoah à l'école ?

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Travail sur des documents, rencontre avec des anciens déportés, visite du mémorial de la Shoah, Europe 1 revient sur les différentes méthodes pédagogiques pour aborder "l'horreur" à l'école.

Après le devoir d’explication autour des attentats à Charlie Hebdo, les enseignants vont, une nouvelle fois, aborder un sujet sensible : la Shoah. Le 27 janvier, à l’occasion de la journée de la mémoire de l’Holocauste et de la prévention des crimes contre l’humanité, de nombreux enseignants aborder ce thème. L'occasion de dresser un état des lieux des outils pédagogiques mis en place par les professeurs pour évoquer ce sujet, étudié en classe de CM2, 3eme et 1ere.

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Bien souvent, les professeurs font appel à des supports pédagogiques innovants. Travail sur des documents, rencontre avec des anciens déportés, visite du mémorial de la Shoah, participation au Concours national de la Résistance, les moyens sont nombreux pour aborder le premier génocide de l’histoire du 20eme siècle.

Auschwitz

© Plus de 1,1 millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont morts à Auschwitz (AFP).

Miser sur les projets collectifs. Il y a quelques années, Yves, lui, a choisi d’inscrire sa classe au Concours national de la Résistance, qui consiste à faire travailler les élèves, individuellement ou collectivement sur un thème différent chaque année. Pour 2015, les élèves devront présenter des travaux autour du thème : "La libération des camps nazis, le retour des déportés et la découverte du monde concentrationnaire."

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"Pour aborder ce thème, qui bien souvent semble éloigné du quotidien des élèves, la dynamique qu’apporte un projet fonctionne bien. Les élèves se sentent impliqués et donc plus concernés. Le fait de les faire travailler en groupe permet également de partager leurs compétences, de les faire réfléchir sur ce sujet ensemble.

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Multiplier les supports. Mais pour donner du fond à la réflexion de leurs élèves, les enseignants apportent une matière première particulièrement dense, quand il s’agit d’aborder le thème de la Shoah. "On a recours à des livres, des bande-dessinées, comme celles de Jacques Tardi, des films, par exemple Nuit et brouillard, des peintures aussi. La matière pour aborder la Shoah ne manque pas", constate Alexandra, professeure d’histoire dans un lycée de Seine-Saint-Denis.

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Yves évoque, lui, l’impact de certains témoignages dans le processus d’enseignement. "Avoir recours à des archives, comme des témoignages de jeunes déportés peut se révéler très utile. Cela permet aux élèves de s’identifier, de voir que des jeunes qui avaient comme eux une part d’insouciance l’ont perdu du jour au lendemain", insiste-t-il.

27.01. Une carte postale censurée d'un détenu du camp de concentration d'Auschwitz en date du 13 mai 1942. 1280

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Ne pas rester dans l'émotion. Reste ensuite à ne pas laisser l’émotion l'emporter et à susciter la réflexion des élèves. "Lorsque je montre un film à mes élèves pour aborder le thème de la Shoah, ils vont être dans l’émotion. Je dois donc rééquilibrer mon discours, pour apporter un éclairage historique et critique. Cette prise de distance est essentielle dans la posture de l’historien", estime Alexandra, professeure en Seine-Saint-Denis.

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Se rendre sur les lieux. Un avis partagé par Dominique Trimbur, responsable de l’enseignement de la Shoah à la Fondation pour la mémoire de la Shoah, pour qui l’enseignement de ce thème à l’école doit constituer une démarche complète et englobante. "Nous soutenons, financièrement et administrativement, l’organisation de projets pédagogiques, comme des visites dans les camps d’Auschwitz-Birkenau. Mais ce n’est qu’une étape. Il doit y avoir un avant, un pendant, un après. On ne va pas à Auschwitz comme si on visitait les châteaux de la Loire. Le voyage ne remplace pas le cours d’histoire, ni l’utilisation d’autres vecteurs, comme le recours à la littérature ou à l’art. Tout cela forme un ensemble", résume Dominique Trimbur, qui demande aux enseignants un retour des élèves qui ont participé aux visites scolaires. Ces derniers doivent par exemple réaliser un blog, un journal, un documentaire de leur visite à Auschwitz.

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Une démarche plus englobante qui semble porter ses fruits selon le responsable de l’enseignement de la Shoah à la Fondation pour la mémoire de la Shoah. "Ce projet apporte un plus en terme de connaissance historique. Se rendre sur place rend l’histoire plus concrète, plus compréhensible par les élèves. Par ailleurs, ces voyages, grâce à l’émotion qu’ils suscitent, permettent de mettre l’accent sur la citoyenneté”, constate Dominique Trimbur, conscient pour autant que certains élèves particulièrement réfractaires aux cours sur la Shoah ne seront pas forcément réceptifs.

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© THOMAS SAMSON / AFP

Ecouter les élèves et leurs doutes. "Aller à Auschwitz, c’est une claque, mais ce n’est pas un vaccin qui rend les gens meilleurs s’ils ont des convictions arrêtées sur la questions. Ces "convictions arrêtées", ce sont notamment les théories du complot, relayées très régulièrement par le polémiste Dieudonné. Et dans certains établissements, ces idées négationnistes ont la peau dure. "Certains élèves remettent tout en cause et sont persuadés que vous n’êtes pas dans le vrai, que c’est eux qui détiennent la réalité, puisqu’ils ont passé des heures sur Internet à étudier la question. Ils sont choqués, car les événements dont on parle sont choquants, donc ils se protègent. Leur refus d’écouter la version des professeurs, est bien souvent un refus d’accepter que des choses aussi horribles puissent se passer. Il faut les laisser parler, exprimer leurs doutes, leur donner la parole. C’est une façon de reprendre la main sur le discours”, estime Alexandra.

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Encore faut-il avoir du temps. A l'heure actuelle, seulement une heure de cours est consacrée à la Shoah en classe de 1ere, et cinq heures pour la Seconde guerre mondiale.

>> Mardi 27 janvier, jour du 70ème anniversaire de la libération des camps d’Auschwitz-Birkenau et journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, suivez les éditions Spéciales d’Europe 1 Matin et d’Europe 1 Soir avec Thomas Sotto et Nicolas Poincaré.