Bernard Squarcini, un ancien "grand flic" en bien mauvaise posture

© FRANCOIS GUILLOT / AFP
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Caroline Politi , modifié à
Après 48 heures de garde à vue, l’ancien numéro 1 du renseignement français a été déféré en vue d'une possible mise en examen. 

Ses "grandes oreilles" causeront-elles sa chute ? Après deux jours de garde à vue dans les locaux de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), l’ancien patron du renseignement intérieur, Bernard Squarcini, a été déféré ce mercredi en vue d'une possible de mise en examen. Il était entendu dans le cadre d'une information judiciaire ouverte pour "trafic d’influence", "violation du secret professionnel" et "compromission du secret défense".

L’ancien patron de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, devenue DGSI) est soupçonné d'avoir utilisé ses nombreuses relations au sein de la police afin de servir les intérêts des entreprises privées pour lesquelles il travaille et ceux de ses proches. En 2012, le "Squale", comme il est surnommé dans la "maison", est écarté de ses fonctions par la nouvelle majorité en raison de sa trop grande proximité avec Nicolas Sarkozy. Il fonde alors sa propre société d’intelligence économique et de conseils en sécurité, Kyrnos. Sa notoriété lui assure une vaste clientèle. Il travaille aussi bien pour des grandes entreprises que pour des personnalités, notamment  des chefs d’état africain.

Ecoutes judiciaires. Ces investigations s’inscrivent dans le cadre d’autres investigations. Une affaire dans l’affaire, en somme.  Comme l'a révélé Le Monde, c'est un rapport d'écoutes daté du printemps 2013 qui est à l'origine de la garde à vue. Entre mars et avril de cette même année, Bernard Squarcini est "branché" judiciairement car son nom apparaît en marge de l’enquête visant le sulfureux homme d’affaires Ziad Takieddine. Ce dernier porte, avec d’autres anciens dignitaires libyens, les accusations contre Nicolas Sarkozy dans l’affaire du financement libyen de la campagne électorale en 2007. Le juge d’instruction, Serge Tournaire, en charge de l’enquête, s’interroge sur le rôle de Bernard Squarcini dans l’exfiltration de Bachir Saleh, l’argentier du régime Kadhafi, au printemps 2012, alors même qu’il était visé par un mandat d’arrêt de son pays.

Les écoutes ne sont pas exploitées avant mai 2016, c’est-à-dire après le procès de Ziad Takieddine, et ce, alors que la retranscription laisse entendre que "le Squale" a continué, après son départ de la police, à récupérer des informations confidentielles sur des enquêtes en cours. Selon Le Monde, il se serait notamment renseigné pour le groupe LVMH, l’un de ses principaux clients, sur l’affaire Bettencourt et sur une enquête judiciaire opposant LVMH et Hermès. Les soupçons des enquêteurs sont étayés par les perquisitions menées en avril et en mai dernier au bureau et au domicile de Bernard Squarcini. Les policiers de l’OCCLIF, l’office de lutte contre la corruption, découvrent des documents qui n'auraient pas dû se trouver chez l'ex-n°1 du renseignement intérieur: des rapports classés secret défense sur des mouvements terroristes et des pièces de procédures judiciaires d'enquêtes en cours.  

Des dossiers bien distincts. A l’origine, pourtant, ces perquisitions visent à étayer trois dossiers bien distincts. Le premier concerne l’affaire du financement libyen. Son nom apparaît également dans l’affaire du "cercle de jeu Wagram". Comme le révélait en 2011 Le Canard Enchaîné, Bernard Squarcini est soupçonné d’avoir demandé le placement sur écoutes administratives d’un policier du service central des courses et des jeux et d’avoir réclamé les factures détaillées d’un autre alors qu’ils enquêtaient sur la reprise en main du cercle de jeu. Il pourrait ainsi avoir cherché à protéger une de ses proches, ancienne employée du cercle de jeu. Entendu comme témoin en 2012, il n’avait finalement pas été mis en cause dans le volet principal du dossier. Les enquêteurs cherchent malgré tout toujours à comprendre les motifs de cette surveillance.

La troisième enquête porte déjà ses activités de consultant, cette fois auprès du cigarettier Philip Morris, qu’il conseille dans la lutte contre la contrebande. Les enquêteurs cherchent à déterminer s’il a encouragé la police marseillaise à lutter contre l’importation illégale de cigarettes, notamment en provenance d’Algérie, dans l’intérêt du géant du tabac américain. Ces perquisitions ont débouché, en juin, sur trois enquêtes préliminaires pour "trafic d’influence", "violation du secret professionnel" et "compromission du secret défense".

Condamné dans l’affaire des "fadettes". Ce n’est pas la première fois que "le squale" doit faire face à la justice. Il a été condamné en avril 2014 à 8.000 euros d'amende par le tribunal correctionnel de Paris pour avoir réquisitionné illégalement les factures téléphoniques détaillées ("fadettes") du journaliste du Monde Gérard Davet. Il cherchait à identifier ses informateurs dans le dossier Bettencourt, dans lequel Nicolas Sarkozy a un temps été mis en examen pour "abus de faiblesse" à l’encontre de la milliardaire avant de bénéficier en octobre 2013, d’un non-lieu "en l’absence de charges suffisantes". En pleine campagne pour les primaires de la droite et du centre, l'ancien président se serait bien passé de voir son nom une nouvelle fois associé à des "affaires".