Bac philo 2017 : les corrigés des sujets en série S

"Défendre ses droits, est-ce défendre ses intérêts ?" et "Peut-on se libérer de sa culture ?" sont les deux sujets de dissertations proposés jeudi aux élèves de Terminale S.
"Défendre ses droits, est-ce défendre ses intérêts ?" et "Peut-on se libérer de sa culture ?" sont les deux sujets de dissertations proposés jeudi aux élèves de Terminale S. © AFP
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Les notions à aborder, les pièges à éviter, les auteurs à citer… Thibaut Giraud, professeur de philosophie et YouTuber et Bruno Antonini, professeur de philosophie à Paris proposent leurs corrections à chaud des sujets de dissertations de la filière scientifique.
LA FRANCE BOUGE

Outre une explication d'un texte du philosophe Michel Foucault, les élèves de Terminale S  qui planchaient jeudi pour le bac de philo 2017 avaient le choix entre deux sujets de dissertations : "Défendre ses droits, est-ce défendre ses intérêts ?" et "Peut-on se libérer de sa culture ?". Pour Europe 1, Thibaut Giraud, professeur de philosophie dans l'Orne et YouTubeur à succès - ses vidéos de vulgarisation de philosophie ont été vues plusieurs dizaines de milliers de fois - et Bruno Antonini, professeur au lycée Racine à Paris nous livrent leurs corrigés express.

 

Sujet 1 : "Défendre ses droits, est-ce défendre ses intérêts ? "

 

  • Les notions à aborder et la problématique :

"La réponse qui paraît évidente à la première lecture du sujet est positive : comment pourrait-il être dans mon intérêt de me priver d’un droit ? Bien problématiser exigera d’aller à rebours de cette première intuition. Pour cela on pourrait d’une part développer l’idée que, si la défense de nos droits coïncide avec celle de nos intérêts, c’est au nom de la justice et de la morale, et non de nos intérêts, que nous les défendons. On pourrait également développer que, de fait, défendre un droit n’est pas toujours dans l’intérêt de celui qui en jouit : un droit est une liberté, et réclamer cette liberté, c’est réclamer aussi la liberté de mal en user. Défendre le droit de consommer de la drogue ou de vendre ses organes, cela peut sembler tout à fait contraire aux intérêts de ceux qui veulent en jouir", détaille Thibaut Giraud.

 

  • Les pièges à éviter :

"Sur un tel sujet, il faudrait éviter deux écueils opposés : l’absence d’exemple et l’excès d’exemples. Il faut évidemment donner corps à son propos en prenant des exemples de droits : droit à l’avortement, liberté d’expression, etc. Mais la copie ne doit pas devenir un catalogue d’exemples sans queue ni tête", met en garde Thibaut Giraud.

 

  • Les auteurs à citer :

"Les utilitaristes sont des auteurs intéressants pour penser ce sujet, en particulier le principe de nuisance (harm principle) de John Stuart Mill : la seule limitation légitime de mes droits individuels est celle qui empêche une nuisance à autrui. Défendre mes droits individuels, c’est donc bien défendre ma liberté d’éventuellement me nuire à moi-même".

 

  • Les références à l’actualité :

"La question de l’ouverture du droit à la GPA pose tout à fait cette question : en interdisant cette pratique, on refuse un droit aux femmes en considérant qu’il n’est pas dans leur intérêt de le posséder", souligne le Youtubeur.

Sujet 2 : Peut-on se libérer de sa culture ?

 

  • Les notions à aborder : 

"Il est nécessaire pour ce sujet de définir les notions dans leur champ d'application. "Peut-on" en tant que possibilité et non permission ou capacité naturelle. "Se libérer" ne doit pas être compris au sens d'abandonner ou d'oublier mais de s'affranchir au sens de ne plus subir et de choisir et enfin "sa culture", doit être vu comme un héritage de civilisation (mœurs, valeurs, idéaux, codes sociaux, normes...).  Ce sujet amène aussi à évoquer des notions annexes de civilisation, d'instruction et d'éducation", détaille Bruno Antonini.

"Le sujet présuppose une forme d'enfermement inhérente à l'appartenance à une culture. Problématiser ce sujet exige d'identifier ces formes d'enfermement et de questionner les moyens de s'en affranchir. Notre culture nous impose une grille de valeur voire une grille conceptuelle (ne serait-ce qu'à travers le langage) à partir desquelles nous appréhendons le monde qui nous entoure. Comment s'en libérer ? Cette libération ne devrait pas être pensée comme une sortie hors de la culture, qui est évidemment impensable, mais plutôt à travers l'appréhension de la multiplicité et de la diversité des cultures", explique pour sa part Thibaut Giraud.

 

  • Les pièges à éviter :

"Il est nécessaire de ne pas restreindre le traitement du sujet au sens d'instruction ni même de civilisation. Il s'agit aussi de ne pas dériver vers un relativisme des cultures qui justifierait de ne rien abandonner de ses ancêtres. Enfin, il ne faut pas réduire son propos à l'immigration et à l'intégration des étrangers sous la condition de l’acculturation. Ce sujet est valable pour nous tous, Gaulois compris", détaille le professeur de philosophie parisien.

Pour le YouTubeur Thibaut Giraud, il est important de "ne pas réduire le terme culture à l'idée de "culture générale", d'être "cultivé" ; même si cette acception du terme est pertinente, l'acception plus générale et plus philosophique de culture (par opposition à la nature) est attendue dans une copie de philosophie, et en particulier pour un tel sujet."

 

  • Les auteurs à citer : 

"On pense évidemment à Lévi-Strauss et à son idée de structures universelles en deçà des cultures particulières comme la prohibition de l'inceste dont on DOIT se libérer et on le PEUT. On pourrait aussi parler du don et du contre-don avec Mauss dont on ne peut se libérer car c'est le "fait social total" de toute civilisation".

L'idée de culture comme "subjectivité anonyme" de Hegel est bienvenue pour penser l'universel dans la particularité de civilisation. Elle permet aussi de relever le "défi" du sujet en disant qu'on ne se libère de sa culture qu'en s'instruisant : les deux sens de culture se concilient dialectiquement en dépassant leur opposition tout en la conservant car s'instruire c'est s'approprier, faire sien son héritage culturel et donc ne plus le subir car on légitime toujours ce que l'on reçoit en lui donnant du sens par l'étude, la réflexion, l'instruction. L'héritage devient ainsi essence de soi et mon "avoir" culturel acquis, transmis, devient mon être de/à soi, mon identité en son universalité subjectivée", détaille le professeur. "La laïcité et la francophonie pour nous Français peuvent constituer des exemples à développer", souligne Bruno Antonini.

Thibaut Giraud lui aussi suggère de citer Levi-Strauss, "pour sa critique de l'ethnocentrisme". "C'est la référence qui sera sans doute la plus trouvée dans les copies. Mais peut-être peut-on aussi citer Bourdieu sur le jugement esthétique".

 

  • Les références à l'actualité :

"Même si l'actualité n'est pas un critère et même si les sujets sont fixés en décembre, on peut y voir le problème de l'intégration des immigrés : ce qu'ils doivent "abandonner" de leurs origines pour être en phase avec le pays d'accueil. Il s'agit ici de voir ce qui peut (et doit) être gardé et pourquoi. L'universalisme de notre laïcité peut aider à répondre en ce sens", étaye Bruno Antonini.

"On peut évidemment penser aux questions relatives au multiculturalisme de nos sociétés et aux difficultés qu'il pose, aux différents modèles d'intégration ou d'assimilation. Mais attention à ne pas transformer sa copie en un tract politique de quelque parti que ce soit !", prévient de son côté Thibaut Giraud.