Au procès Heaulme, les parties civiles entre "doute" et "conviction"

Le procès de Francis Heaulme doit s'achever jeudi, devant les assises de la Moselle.
Le procès de Francis Heaulme doit s'achever jeudi, devant les assises de la Moselle. © BENOIT PEYRUCQ / AFP
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M.L avec Salomé Legrand et AFP
À deux jours de l'épilogue du procès Heaulme, l'heure était aux plaidoiries des parties civiles, mardi à Metz. Certaines d'entre elles ont choisi de se rallier à la cause de la défense.

"L'intime conviction, en 1989, la cour l'a donnée aux familles : elle a condamné Patrick Dils. Et  cette intime conviction a été manifestement fondée sur des aveux terribles, qui laisseront une trace." L'insinuation est lourde de sens. Et elle n'est pas venue des avocats de Francis Heaulme, mardi, au procès du double meurtre de Montigny-lès-Metz. Mais bien de Me Dominique Rondu, conseil de Ginette Beckrich, la grand-mère de l'une des victimes. Tout au long de sa plaidoirie, l'avocat "historique" du dossier n'a cessé d'évoquer ses doutes quant à l'innocence de Patrick Dils, acquitté des meurtres en 2002, tout en assurant ne pas remettre en cause la décision de la justice. Et réalisant, au passage, une partie du travail de la défense.

"Au prétexte que c'est un serial killer". "Les familles ne vous feront jamais grief" de douter, car elles ne veulent pas "de coupable de substitution", "au prétexte que c'est un serial killer", poursuit l'avocat. Et d'évoquer l'absence de preuve irréfutable de la culpabilité du "routard du crime" : des scellés détruits après le procès Dils, pas d'aveux formels et des témoignages, à son sens, réfutables. Pourtant, les gendarmes n'ont pas ménagé leur peine, depuis quinze ans, pour faire avancer l'enquête. Ils ont identifié des similitudes entre les meurtres de Montigny et les crimes de Francis Heaulme, établi sa présence à proximité du talus SNCF cet après-midi de 1986, et identifié plusieurs déclarations troublantes de l'accusé sur le dossier, lorsqu'il était interrogé dans d'autres affaires.

Autant de présomptions non recevables pour Me Rondu. "Nous sommes dans le procès des hypothèses et des probabilités, mais jamais des certitudes", balaye-t-il. Francis Heaulme, "vous connaissez sa phrase, 'des fois je mens, des fois je dis la vérité". Que pouvons-nous faire avec ça ?" Et de livrer "son" hypothèse : les enfants auraient été tués par quelqu'un qu'ils connaissaient, ou qui inspirait confiance. Cyril serait mort en premier, attrapant, dans sa chute, le pantalon de son copain. Une façon d'expliquer pourquoi le jogging d'Alexandre était un peu baissé - et de disculper en creux Francis Heaulme, dont plusieurs des neuf victimes ont été retrouvées partiellement ou totalement dénudées.

"Un mauvais feuilleton judiciaire". Aux avocats des parents Beckrich, Alexandra Vautrin et Thierry Moser, de livrer une version plus contrastée du dossier. La première, pédagogue, revient sur le chemin de croix des familles, expliquant combien il est dur de s'enlever un coupable de la tête dans ce "mauvais feuilleton judiciaire qui leur pourrit la vie depuis 30 ans". "Aujourd'hui, ce qu'ils souhaitent, c'est que ce procès soit le dernier", souffle-t-elle. Me Moser souligne, lui, son "cas de conscience" : contrairement à ses clients, il est convaincu de la culpabilité de Francis Heaulme. Pour ne pas entendre la plaidoirie, la mère et la soeur d'Alexandre Beckrich quittent la salle.

En six points et près d'une heure, l'avocat expose sa "conviction absolue". Il évoque l'"amnésie de confort" de Francis Heaulme, "technique des voyous usée jusqu'à la corde". Estime qu'après avoir commis les crimes vers 17h45, l'accusé a pu, en une heure, parcourir 4,5 kilomètres jusqu'à l'endroit où les "pêcheurs", témoins clés du dossier, l'ont récupéré le visage ensanglanté. Mentionne, aussi, le témoignage de Pascal Michel, ancien codétenu de Heaulme, qui a assuré avoir recueilli les confidences de l'accusé. "Certes, pas la preuve matérielle. Mais des éléments troublants."

"Pas de cinquième procès". Dominique Boh-Petit enchaîne, presque aussi émue que sa cliente, Chantal Beining. "Ce procès là il est terrible dans sa durée, dans sa complexité. Madame Beining a réussi à prendre en compte les 15 ans d'erreurs judiciaires, comprendre contrairement aux autres", rappelle-t-elle, dans une énième référence à Patrick Dils. Puis, l'avocate revient sur l'échange qu'elle a provoqué entre sa cliente et l'accusé, la veille. Francis Heaulme avait reconnu la souffrance des familles, se disant prêt à les aider, avant de répéter, comme un disque rayé, "Montigny, c'est pas moi". "Cet homme, s'il n'avait été que le témoin du meurtre, aurait donné ces informations à Madame Beining", estime-t-elle. "J'analyse sa position d'hier comme un aveu implicite."

Son collègue Me Buisson, représentant de Jean-Claude Beining, conclut en rappelant les propos de Me Vautrin. "Quoi qu'il arrive, il n'y aura pas de cinquième procès d'assises. Ca sera sans nous." Mercredi, les avocats de la défense doivent, à leur tour, exposer leurs convictions sur ce dossier. Le verdict est attendu jeudi.