Attentats du 13-Novembre : ces Français victimes par ricochet

Un couple de Français, place de la République, le 14 novembre 2015 au lendemain des attentats.
Un couple de Français, place de la République, le 14 novembre 2015 au lendemain des attentats. © MARTIN BUREAU / AFP
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Caroline Politi , modifié à
Après les attentats du 13-Novembre, certains ont eu peur de reprendre les transports en commun. D’autres ont fait des cauchemars ou souffert d’agoraphobie. Pourtant, ils n’étaient pas au Bataclan ni sur les terrasses visées par les commandos. 

Au lendemain du 13-Novembre, Myriam* a eu peur de reprendre les transports en commun. Pendant plusieurs semaines, elle a monté des "subterfuges" pour ne pas à avoir à monter dans une rame de métro, ou plus généralement à se retrouver dans un lieu bondé. "J’ai la chance de travailler de chez moi donc je pouvais donner mes rendez-vous là où je voulais. J’y allais à pied, en vélo ou quand c’était vraiment trop loin, en Uber", se remémore la jeune graphiste. Pourtant, le soir des attentats, elle ne se trouvait ni au Bataclan, ni dans une des terrasses visées par les commandos, ni même au Stade de France. Elle était chez elle, clouée au lit à cause d’une mauvaise grippe. "J’ai eu de la chance, estime-t-elle aujourd’hui. J’allais régulièrement au Carillon et mes amis aussi. Je me demande presque comment c’est possible que je ne connaisse personne qui ait été blessé." Devant ses angoisses persistantes, son compagnon la pousse à aller consulter. "Maintenant, je reprends le métro même si je ne suis toujours pas à l’aise. Par exemple, je n'arrive plus à lire, je passe mon temps à scruter les autres passagers." 

Myriam n’est pas la seule à avoir développé des symptômes de stress post-traumatique après les attentats, sans en avoir été sur les lieux des attaques. "C’est ce qu’on appelle l’identification projective. Certaines personnes se sont effondrées en se disant, ça aurait pu être moi", note la psychologue Hélène Romano, spécialiste du psycho-traumatisme. Cela a pris différentes formes. Des attaques de panique, des cauchemars ou un manque d’appétit, chez les uns. Des comportements d’évitement, chez d’autres. Pendant de longues semaines, les salles de cinéma ou de spectacle ont été désertées, tout comme les stades, les musées et tous les lieux publics. Aller boire un verre en terrasse était même vu comme un acte de résistance. "Il ne faut pas psychiatriser le sentiment de peur après un événement aussi choquant. Les manifestations d’angoisses sont des réactions normales, même saines. Là où ça devient inquiétant, c’est lorsque cela dure au-delà du premier mois", nuance la psychologue.

Les attentats ont fait ressurgir d'anciens traumatismes. Les cellules médico-psychologiques mises en place dans les heures qui ont suivi les attaques, ont rapidement été prises d’assaut. Des témoins directs et des proches des victimes évidemment, mais également des habitants des quartiers visés, des journalistes envoyés sur les lieux des drames ou simplement des personnes affectées par le climat ambiant. "Les deux ou trois premiers jours, nous nous sommes principalement occupés ‘des impliqués’, explique le médecin urgentiste Gérald Kierzek, qui participait à la cellule médico-psychologique à l’Hôtel-Dieu. Puis, nous avons vu arriver des gens qui n’étaient pas forcément sur les lieux mais qui avaient besoin d’en parler." Certains culpabilisaient, avaient l’impression de prendre la place de "gens qui en avaient vraiment besoin". "Ce sentiment peut se comprendre, mais il n’a pas lieu d’être. Il ne faut pas avoir de jugement de valeur vis-à-vis de la peur, c’est un phénomène humain et incontrôlable."

" On ne se sent plus en sécurité chez soi, quand on fait les courses ou qu’on se promène "

Cette nuit du 13 novembre a parfois réactivé des traumatismes plus anciens. Hélène Romano se souvient notamment de cette patiente, blessée pendant les attentats de 1995, qui pensait être guérie et qui a vécu des semaines d’angoisse après cette nouvelle attaque. Ou cette ancienne déportée pendant la Seconde Guerre mondiale qui a vu ressurgir ses peurs. "Certaines personnes qui ont déjà été confrontées à la mort ou à un événement particulièrement violent vont le revivre au travers de ces attentats", explique la psychologue. Chez d’autres patients, le 13-Novembre a eu également un effet de "décompression". "Ils souffraient d’une pathologie psychiatrique sous-jacente, comme par exemple une profonde dépression, qui a été réactivée par le contexte ambiant", explique Gérald Kerziek.

Comment prendre en charge ces victimes "par ricochet"? "C’est très variable, cela dépend du mal-être", souligne Hélène Romano. Parfois, le seul fait de "vider son sac" va avoir un effet libératoire, dans d’autres cas, une prise en charge sur du plus long terme s’impose. Pour autant, dans le 11e arrondissement, quartier particulièrement meurtri par les attaques, sur sept psychiatres contactés, aucun n’a vu sa patientèle augmenter après le 13 novembre. En revanche, le sujet a été largement évoqué en consultation. "Toute la société a eu besoin d’en parler, ce n’est pas différent pour nos patients", explique le docteur Bernard Carusco, dont le cabinet se situe à quelques pas du Bataclan. "Le sujet a parfois occupé plusieurs séances, parfois quelques minutes. Chacun ressent les choses différemment." Même son de cloche chez le docteur Henryk Rybak, qui exerce également dans le 11e arrondissement. "Le fait d’habiter dans un quartier qui a été victime de ces attentats, mais également de ceux de Charlie Hebdo, a forcément un aspect bouleversant. On ne se sent plus en sécurité chez soi, quand on fait les courses ou qu’on se promène. Certains patients ont fait des cauchemars, d’autres avaient des angoisses pour eux ou leurs enfants. J’avais, par exemple, plusieurs mamans qui n’osaient plus laisser leurs enfants faire des sorties scolaires."

" Les attentats sont devenus chez certains enfants, la principale expression de leur anxiété "

Dans les cabinets de pédopsychiatres également, le sujet a occupé une place majeure. "Les attentats sont devenus chez certains enfants, la principale expression de leur anxiété. Ils ont intégré le terrorisme comme une nouvelle forme de danger, comme la pédophilie, les enlèvements…", indique le pédopsychiatre Stéphane Clerget. Souvent, les peurs des parents ont dépeint sur celles des enfants. La télé qui tourne en boucle, les habitudes qui changent, les multiples recommandations. Pourtant, d’un tel drame, est parfois ressortie une vraie prise de conscience. "Beaucoup de parents ont remis en cause leur priorité. Ils me disaient ‘ces attentats m’ont fait réfléchir, il faut profiter de la vie’."

Commémorations. Petit à petit, néanmoins, le sujet s’est fait moins pressant. Les consultations tournant autour de ce thème se sont espacées, sans pour autant disparaître totalement. L'arrestation de Salah Abdeslam mais également les attentats de Bruxelles, Nice ou Saint-Etienne-du-Rouvray ont ravivé les souvenirs. "Lors de l’attentat de Nice, nous avons dû réactiver la cellule médico-psychologique car certaines victimes qui allaient pourtant mieux ont vu ressurgir leurs peurs", indique le Gérald Kierzek. A l’approche des commémorations du 13-Novembre, Stéphane Clerget a noté que le sujet était depuis "deux ou trois jours" de nouveau très présent dans ses consultations. "Ce n’est pas forcément négatif, on voit le chemin parcouru. Mais comme on reparle du sujet, les sentiments associés ressurgissent", précise-t-il.

* Le prénom a été changé