Après Sarcelles, le port d'armes hors service des policiers pose question

Depuis les attentats du 13-Novembre, les policiers sont autorisés à porter leurs armes hors service s'ils le souhaitent (photo d'illustration).
Depuis les attentats du 13-Novembre, les policiers sont autorisés à porter leurs armes hors service s'ils le souhaitent (photo d'illustration). © AFP
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Le gardien de la paix qui a tué trois personnes samedi soir conservait son arme en dehors de ses heures de service, comme beaucoup de ses collègues.

 

"C'est quelqu'un qui, à un moment donné, déraille totalement", a résumé le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, dimanche. "Mais comme il est armé, évidemment, il peut tirer…". Samedi, un policier de 31 ans en instance de séparation a tué trois personnes et grièvement blessé sa petite-amie par balle à Sarcelles, dans le Val-d'Oise. "Bon fonctionnaire" selon sa hiérarchie, apprécié de ses collègues, Arnaud M. conservait son arme sur lui à la fin de son service, comme nombre de ses collègues.

Des "exigences contradictoires". La disposition a été prise au lendemain des attentats du 13-Novembre. Dans le contexte de l'état d'urgence, une note de la direction générale de la police autorisait policiers et gendarmes à porter leur arme tout le temps : chez eux, mais aussi lors de leurs déplacements ou de leurs congés.

Une mesure exceptionnelle, basée sur le volontariat et largement réclamée par les syndicats, notamment après la mort de trois policiers - Franck Brinsolaro, Ahmed Merabet et Clarissa Jean-Philippe - en janvier 2015. "On doit pouvoir au moins riposter si on fait face à un acte. Je ne vois pas pourquoi, au prétexte qu'ils (les policiers, ndlr) sont armés 24 heures sur 24, il y aurait des cowboys plein les rues", justifiait à l'époque Denis Jacob, secrétaire général du syndicat Alternatives Police.

En novembre 2015, Bernard Cazeneuve présentait aussi son plan contre le suicide policier, après une année noire dans les rangs des forces de l'ordre, particulièrement exposées de par leur démographie notamment. "Un policier sur trois se suicide chez lui, avec son arme", diagnostiquait le ministre de l'Intérieur. Parmi les propositions formulées place Beauvau : l'expérimentation, dans certains départements, de casiers dédiés au dépôt des armes de service au commissariat pour les policiers, avant de regagner leur domicile. Une disposition également basée sur le volontariat et moins médiatisée que l'autorisation de port d'arme hors service.

Plusieurs précédents. Deux ans plus tard, Gérard Collomb a admis la difficulté de lutter contre des exigences "contradictoires", dimanche : d'un côté, la volonté d'une meilleure protection des forces de l'ordre dans le contexte terroriste, et de l'autre, la crainte que les armes de service ne soient utilisées par des individus en situation de détresse.

En 2016, la première a pris le dessus sur la seconde après l'assassinat d'un couple de policiers à Magnanville. Pris pour cible en raison de leur appartenance aux forces de l'ordre, Jean-Baptiste Salvaing et sa compagne Jessica Schneider étaient assassinés à leur domicile, en dehors de leurs horaires de travail. Quelques jours plus tard, le gouvernement annonçait que l'armement hors service pourrait demeurer au-delà de l'état d'urgence. Il est désormais régi par plusieurs circulaires : les agents souhaitant y avoir recours doivent en faire la déclaration et avoir effectué au moins trois entraînements de tir par an.

Mais force est aussi de constater que la tuerie de Sarcelles s'inscrit dans une série de drames familiaux commis avec des armes de service. En février 2016, un policier tuait son ex-compagne de trois balles à Alès, dans le Gard, avant de se constituer prisonnier. Mi-août 2017, un autre abattait deux pompiers dont l'amant de sa femme avant de retourner son arme contre lui à Cogolin, dans le Var. Un mois plus tard, c'est un fonctionnaire de la préfecture de police de Paris qui assassinait son épouse et deux de leur cinq enfants avant de se suicider en gare de Noyon, dans l'Oise.

Un défaut de suivi individuel ? Comment, alors, prévenir ces "drames de la police", tels que les qualifie Gérard Collomb ? Après Sarcelles, le ministre a assuré que les policiers resteraient armés hors service, rappelant que leurs chefs de service pouvaient s'y opposer à tout moment. "Cela demande beaucoup d'attention des cadres dirigeants de la police, à tous les niveaux", a-t-il expliqué, tout en reconnaissant que rien dans le profil d'Arnaud M. ne laissait augurer une folie meurtrière. "Selon ses chefs de service, c'était un bon fonctionnaire, ancien gendarme mobile, très rigoureux", a indiqué le procureur de Pontoise, dimanche.

"On a un certain nombre de mesures possibles, urgentes, pour désarmer quelqu'un lorsque l'on sent qu'il y a une détresse. Malheureusement, dans tous ces dispositifs préventifs, on n'est pas dans le zéro défaut", abonde Jean-Paul Mégret, secrétaire national du syndicat indépendant des commissaires de police (SICP), interrogé par Franceinfo. Dans un contexte de recrudescence du nombre de suicides chez les forces de l'ordre - depuis le début de l'année, plus de 45 policiers et 16 gendarmes se sont donné la mort, selon les chiffres du ministère de l'Intérieur - les faits survenus samedi à Sarcelles pourraient relancer le débat. Refusant d'envisager un quelconque retour en arrière, le syndicat Alliance les a pour sa part qualifiés de "tout à fait exceptionnels", dimanche.