Anesthésistes-réanimateurs : profession en danger ?

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Noémi Marois , modifié à
SOCIÉTÉ - Les addictions et le mal-être ne sont pas rares dans la profession. Mais ce serait le cas de tous les médecins.

Après le drame de la maternité d’Orthez et le décès d'une patiente de 28 ans, les questions s'accumulent autour de la profession d’anesthésiste. La médecin mise en cause a reconnu un problème pathologique lié à l’alcool. Selon plusieurs études, la profession de médecins anesthésistes-réanimateurs (Mar) est particulièrement fragile. 

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Alcool, tranquillisants et cannabis.Selon une étude datant de 2005 du Dr Laure Beaujouan de la Mission de santé publique de l’AP-HP, un Mar sur dix est en état d’abus ou de dépendance à une addiction. Sur ces 10% de Mar, 59% disaient abuser de l’alcool, 41% de tranquillisants ou d’hypnotiques et 6,3% de cannabis. Se servent-il à l’hôpital ? "Ça existe", admet auprès d'Europe 1 Yves Rebufat, président du syndicat des anesthésistes-réanimateurs (SNPHAR). "Malgré les contrôles des pharmacies hospitalières, certains y arrivent. IIs font ça discrètement et intelligemment", relate-t-il.

Une profession en état de fragilité. Les anesthésistes-réanimateurs ne vont pas bien. Le docteur Max-André Doppia sait de quoi il parle. Président de la commission Smart (Santé du médecin anesthésiste-réanimateur au travail), il se bat depuis 1998 pour faire reconnaître les problèmes de santé dans les professions médicales.

Après le suicide en 2009 de trois anesthésistes en l’espace de quelques mois, il a mené une étude où 77% des Mar déclaraient avoir eu connaissance de troubles de santé chez un de leurs collègues. Et dans une même proportion, ils estimaient qu’on ne parlait pas assez de ces sujets.

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Des semaines de 60 heures. La spécialité médicale d’anesthésiste-réanimateur traverse actuellement une zone de turbulence. Selon le Dr Max-André Doppia, contacté par Europe 1, "25% de nos postes sont actuellement non pourvus. Résultat, les anesthésiste font des semaines de 60 heures". Pas étonnant que dans son étude, 40% des Mar souffrent d’une des trois dimensions du burn-out : dépersonnalisation, épuisement émotionnel et manque d’accomplissement personnel. Ils sont aussi plus sujet au suicide selon une étude américaine.

Le cas de tous les médecins ? Le Dr Max-André Doppia confirme : "Il y a des addictions chez les Mar, mais pas plus que chez les autres médecins et pas plus que dans les autres professions". Un tiers des chirurgiens se disaient proches du burn-out dans une étude publiée en 2012.

Les auteurs de l’étude de la Mission de santé publique de l’AP-HP temporisent aussi les résultats de leurs études. Des études américaines révèlent en effet que les taux d’addiction sont similaires entre les MAR et les médecins d’autres spécialités. Pour la France, les études sur l’ensemble des médecins manquent cependant.

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© Reuters

"Tu vas en baver". "En médecine, le travail sous pression, ça commence au concours d’entrée en médecine, puis, au concours de l’internat qui est extrêmement difficile", relate Yves Rebufat, président du syndicat des Mar. Le rythme effréné continue après explique Max-André Doppia : "Quand on devient interne, en gros, on nous dit qu’on va en baver. On nous apprend à ne plus dormir, à ne pas avoir faim et à ne plus voir nos familles". 

Et l’esprit de sacrifice lié à une profession où on sauve des vies ? "Il existe encore", admet Yves Rebufat tout en reconnaissant qu’avec la jeune génération, les choses pourraient changer. 

Les cordonniers sont les plus mal chaussés.  Le Dr Doppia avance que "80% des médecins n’ont pas de médecins traitant et seulement 40% d'entre eux se présentent à la visite de médecine du travail". Yves Rebufat confirme : "C’est très mal vu quand on est médecin de s’occuper de sa santé". Pour preuve, quand le Dr Doppia a commencé à faire la publicité d’un numéro vert d’écoute pour les Mar, il a reçu les sarcasmes de la part de ses compères : "vous êtes des pauvres chochottes".

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Max-André Doppia dénonce aussi le fait que les médecins ont très peu de poids dans les Comités d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail des hôpitaux (CHSCT). "Résultat : quand un médecin souffre de cadences infernales, à qui peut-il se plaindre ? Personne", dénonce-t-il. 

Tracer les médecins nomades.En plus du numéro vert, le Dr Doppia a mis en ligne une série d’auto-tests pour évaluer sa santé  et il a mis à disposition un addictologue qui reçoit les Mar en détresse. Mais pour lui, cela ne suffit pas. Désormais, avec le Smart, il souhaite faire de la prévention au suicide et axer son message en direction des internes. 

Enfin, il propose d’organiser un traçage du "nomadisme médical" avec un fichier qui regrouperait ces médecins qui multiplient les postes : "ils se font renvoyer et, comme il n’y a aucun suivi, se font rembaucher ailleurs". Avec leurs casseroles que tout le monde ignore … "Le drame d’Orthez aurait pu être éviter si la médecin en question avait bénéficié d’un suivi et d’une aide". 

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