Amnesty International dénonce les "dérives" de l'état d'urgence

Manifestations contre l'état d'urgence (1280x640) (Jean-François MONNIER/AFP)
La prolongation pour trois mois de l'état d'urgence a été présentée mercredi en Conseil des ministres et sera débattue vendredi à l'Assemblée. © Jean-François MONNIER/AFP
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Aude Vernuccio et Thibauld Mathieu
L'ONG publie jeudi un rapport sur les dérives de l'état d'urgence et appelle les députés à voter contre sa prolongation.

L'état d'urgence ne justifie pas tout. C'est, en résumé, le message que souhaite faire passer Amnesty International dans un rapport consacré à "l'impact disproportionné de l'état d'urgence" publié jeudi, alors que la prolongation de cette mesure doit être débattue vendredi à l'Assemblée Nationale.

60 témoignages recueillis. Le rapport énumère une longue liste de dérives : individus ciblés pour leur appartenance politique ou religieuse, stigmatisation, violences policières ou encore arrestations arbitraires qui n'ont rien à voir avec le terrorisme. Amnesty a recueilli 60 témoignages, dont ceux de militants écologistes arrêtés pour avoir participé à une manifestation interdite pendant la COP 21.

"Il y a eu des fouilles à nu, avec des humiliations sexistes à caractère sexuel de la part de policiers, telles que 'je vais te prendre avec du sable, il n'y a que ça que vous méritez'", raconte Alice au micro d'Europe 1. "J'ai aussi eu 'les gauchistes, on va vous gazer dans votre cellule'. Peu importe les raisons pour lesquelles on est en garde à vue, on n'a pas à subir ce genre d'humiliations."

Des atteintes à la liberté de soins. Dans certains cas, les dérives s'apparentent à des atteintes à la liberté de soins. Un Avignonnais atteint de narcolepsie n'a par exemple pu se rendre à aucun de ses rendez-vous médicaux pendant son assignation. Un homme aveugle a quant à lui été obligé de pointer trois fois par jour à un commissariat dont il n'avait jamais emprunté le chemin.

"Très peu de résultats concrets". Or, ces mesures "n'ont récolté que très peu de résultats concrets, ce qui pose la question de (leur) proportionnalité", relève l'ONG, qui rapporte que, selon les autorités, "les 3.242 descentes effectuées au cours des mois précédents n'ont donné lieu qu'à quatre enquêtes préliminaires pour des infractions liées au terrorisme et à 21 enquêtes pour le motif d''apologie du terrorisme', aux contours flous".

"Renoncer à la prolongation". L'organisation en conclut que l'état d'urgence ne doit pas être prolongé au-delà du 26 février, sauf si l'exécutif prouve que ses mesures sont indispensables. "Amnesty International demande au gouvernement français de s'abstenir de proposer une prolongation de l'état d'urgence à moins qu'il ne puisse réellement démontrer que la situation à laquelle il est confronté constitue un danger public exceptionnel si élevé qu'il menace l'existence de la nation", peut-on lire dans le rapport. L'ONG demande donc, au mieux, l'arrêt de l'état d'urgence, et a minima d'encadrer les autorités administratives en les obligeant à obtenir une autorisation systématique de la justice.

Le Conseil de l'Europe également préoccupé.Plusieurs organisations, en France et à l'étranger, ont elles aussi fait part de leurs interrogations, voire de leur hostilité concernant le maintien de l'état d'urgence, notamment le Conseil de l'Europe et le Conseil national des barreaux (CNB), représentant des avocats français.