Affaire Théo : un an d'enquête et d'interrogations

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Théo est devenu bien malgré lui le symbole des violences policières © ALAIN JOCARD / AFP
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Thibauld Mathieu
Le 2 février 2017, Théo L., 22 ans, sortait gravement mutilé de son interpellation à Aulnay-sous-Bois. Un an après, le jeune homme attend toujours un procès.

C'était il y a près d'un an. Théodore L., dit "Théo", devenait bien malgré lui le symbole des violences policières. Le 2 février 2017, le jeune homme de 22 ans (21 ans à l'époque) sortait gravement blessé de son interpellation à Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis : il se dit victime d'un viol avec une matraque. Une affaire qui avait provoqué l'indignation dans les banlieues et bien au-delà.

Que s'est-il passé le 2 février 2017 ?

Jeudi 2 février, à Aulnay-sous-Bois, cité des 3.000 : il est 16h53 quand quatre policiers s'approchent d'un groupe de jeunes afin de les contrôler. Quelques minutes plus tard, Théo est maîtrisé par trois des quatre fonctionnaires, le dernier tenant le groupe à distance à l'aide de gaz lacrymogènes. Filmée par les caméras de surveillance de la ville et les téléphones de certains habitants, l'interpellation dégénère : Théo accuse un des policiers de lui avoir introduit une matraque télescopique dans l'anus. Un médecin lui diagnostique une plaie de 10 centimètres.

Très vite, deux versions s'opposent. Sur son lit d'hôpital, le jeune éducateur de quartier affirme qu'il se rendait ce jour-là auprès d'une amie de sa sœur. Apercevant un groupe d'amis, Théo se serait alors rapproché d'eux, jusqu'à ce que les policiers lui ordonnent de se placer contre le mur pour une palpation. L'un des hommes contrôlés reçoit à cet instant une "grosse gifle" de la part d'un agent. Théo tente de prendre sa défense. "Ils m'ont mis plein de coups, (...) m'ont matraqué les parties intimes, m'ont craché dessus, traité de 'négro', 'bamboula', 'salope'", raconte-t-il le 6 janvier. Un policier, surnommé "Barbe rousse", lui aurait enfoncé la matraque "dans les fesses, volontairement". Et le jeune homme de subir de nouveaux coups dans la voiture de police, où les agents l'auraient photographié en position humiliante.

La version du policier accusé de viol est quant à elle totalement différente. Selon lui, Théo se serait violemment interposé alors que l'unité procédait à l'interpellation d'un dealer. Théo aurait notamment adressé un coup de poing au visage du policier, avant que les agents ne tentent de l'immobiliser. Lors de son audition, le fonctionnaire déclare en outre n'avoir frappé que les jambes de Théo et assure ne pas savoir comment celui-ci a été blessé. Son avocat plaide ainsi le geste "involontaire". Lors de son interpellation, le jeune homme "se débat dans tous les sens" et un des coups qui part en direction de sa cuisse va le "blesser gravement", explique alors Me Frédéric Gabet.

L'Inspection générale de la police nationale (IGPN) retient également "le caractère non intentionnel" du coup de matraque, déplorant toutefois des conséquences "dramatiques". Sur la base de ce rapport, l'un des fonctionnaires est mis en examen pour viol, ses trois collègues pour violences volontaires en réunion. Tous sont suspendus de leurs fonctions. Mais les images de vidéosurveillance, qu'Europe 1 vous dévoilait en exclusivité lundi matin, ne permettent pas de trancher entre les deux versions.

Toutefois, lors d'une nouvelle audition, Théo modifie légèrement son premier récit. Alors qu'il affirmait que les policiers lui avaient volontairement baissé son pantalon, le 3 mars, il déclare finalement au juge d'instruction : "si tu ne serres pas ton pantalon avec le cordon, logiquement il se descend tout seul. Et puis je prends mes pantalons en XL, ce n'est pas ma vraie taille. Mon pantalon n’était pas bien attaché, il tombait. Ils tiraient vers le bas quand même, mais je ne pense pas que c’était volontaire. Ils essayaient de me maîtriser".

L'affaire devient un symbole des violences policières

Dans les jours qui suivent, les manifestations de soutien à Théo se multiplient, certaines émaillées de violences. Quelques mois après la mort d’Adama Traoré des suites d’une interpellation policière à Beaumont-sur-Oise, de nombreuses personnalités témoignent également de leur soutien au jeune Aulnaysien : Omar Sy, Oxmo Puccino, Vincent Cassel, Booba, mais aussi Patrick Bruel, Hugues Aufray, Josiane Balasko ou encore Anne Roumanoff, qui signent une tribune dans Libération.

Mardi 7 février, François Hollande se rend au chevet du jeune homme. Le président de la République loue la réaction "digne et responsable" de Théo, "connu pour son comportement exemplaire". Le Premier ministre Bernard Cazeneuve réclame quant à lui "la plus grande fermeté" quand "il y a des manquements graves" des forces de l'ordre.

Montage-Journaux

Car l'affaire devient rapidement le symbole des violences policières. Et d'autres histoires refont surface dans son sillage. Le journal L'Humanité rapporte ainsi que le commissaire de police d’Aulnay-sous-Bois avait été condamné en 2008 à un an de prison avec sursis et un an d’interdiction d’exercer pour non-empêchement d’un délit. Lors d'un contrôle consécutif à un délit routier, l'un de ses agents avait en effet placé un enjoliveur entre les fesses de l'homme arrêté, lequel avait accusé les policiers de l’avoir "menacé de sodomie". Le commissaire aurait ainsi fermé les yeux.

Le 14 février, L'Obs relaie de son côté le récit d'un certain Mohamed K. L'homme raconte avoir été passé à tabac lors de son interpellation par des policiers, une semaine avant Théo et dans la même cité. Parmi eux, le fameux "Barbe rousse".

Huit jours plus tard, c'est au tour de Libération de publier le témoignage, images à l'appui, d'un employé de la commune. Interpellé par des agents en civil de la BAC d'Aulnay le 30 janvier 2017, soit trois jours avant l'affaire Théo, il est l'objet d'une interpellation violente qui lui vaut cinq jours d'ITT. Deux commissariats auraient refusé d'enregistrer sa plainte.

"Certains médias et certaines personnalités politiques (...) ont voulu jeter 'les policiers aux chiens' avant même que les enquêteurs et la justice ne se prononcent", dénonce, en écho, le syndicat de police Alliance.

Où en est l'enquête ?

Près d'un an après les faits, le parquet de Bobigny indique que l’enquête se poursuit. Deux expertises sont d'ailleurs attendues cette semaine. Menées par un médecin expert et par un spécialiste du maniement des armes, elles doivent déterminer d'une part les séquelles physiques constatées sur le jeune homme et confronter d'autre part les déclarations des protagonistes, les images de vidéosurveillance et les techniques d'intervention de la police. Que le geste du policier soit intentionnel ou non, "en cas d’infirmité permanente, les faits sont passibles de la cour d’assises", explique un magistrat dans les colonnes du Parisien

Si le policier mis en examen pour viol est jugé, il est ainsi passible d'une peine de 20 ans pour viol aggravé du fait de sa qualité. Les violences ayant entraîné une incapacité totale de travail de plus de huit jours sont quant à elles punies de cinq ans d'emprisonnement et de 75.000 euros d'amende lorsqu'elles sont commises par une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice de ses fonctions. Or, Théo s'est vu prescrire 60 jours d'incapacité totale de travail (ITT).

Selon le quotidien, trois des quatre policiers mis en examen ont par ailleurs été réintégrés par leur administration. L'un en Seine-Saint-Denis, mais pas à Aulnay-sous-Bois, l'autre en province. Le troisième, lui, aurait refusé sa réintégration et changé de métier. Seul l'agent mis en examen pour viol reste donc suspendu. Il devrait passer prochainement en conseil de discipline.

Depuis l'affaire, tous les commissaires d'Aulnay-sous-Bois ont en outre été mutés. "Ces mouvements n’ont rien à voir avec Théo", précise cependant une source départementale au Parisien.

Comment se porte Théo ?

Théo, lui, peine à se remettre d'aplomb. Le jeune homme, qui a déménagé de sa cité "pour changer d'air", a repris le travail à mi-temps mais souffre encore des séquelles liées à sa blessure. "Dire que ça va mieux, ça serait un grand mot, j’ai connu des meilleures formes", affirmait-il en octobre au micro d’Europe 1. "J'ai toujours une poche. (...) Je ne m'y suis toujours pas habitué. Je n'ai pas l'impression que cela cicatrise plus que ça, c'est comme au début", précise-t-il encore au Parisien

En attendant de pouvoir rejouer au foot, sa passion, l'Aulnaysien travaille sur un projet autour de ce sport dans les quartiers sensibles. En attendant, donc, que la justice se prononce.