Affaire Théo : "C’est l’expression extrême de rapports déjà très mauvais"

Policier aulnay
© GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
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Caroline Politi
Depuis l’interpellation particulièrement violente de Théo, des heurts secouent Aulnay. La police et les habitants des quartiers sont-ils irréconciliables ?

Malgré l’appel au calme lancé depuis son lit d’hôpital par Théo, de nouveaux heurts ont éclaté cette nuit à Aulnay-sous-Bois et dans les communes environnantes. Mobiliers urbains et voitures caillassés, outrages aux policiers, violences … 17 personnes ont été interpellées. Un embrasement des banlieues est-il à craindre ? L’analyse de Sébastian Roché, sociologue de la délinquance et auteur de De la police en démocratie (Grasset). 

De nouveaux heurts ont éclaté cette nuit à Aulnay-sous-Bois mais également dans les communes environnantes en réaction à la violente interpellation de Théo. Craignez-vous un éventuel embrasement des banlieues ?

C’est toujours très difficile de prédire ce qui va se passer. Evidemment, il y a un terreau propice. La défiance vis-à-vis de l’autorité politique et de la police est très forte. Personne ne se dit que c’est un incident. Aux yeux des habitants de ces quartiers, l’affaire Théo ou celle d’Adama cet été ne sont qu’une expression extrême de rapports déjà très mauvais. Néanmoins, au niveau local et national, les nombreux signes de considération de la part des autorités participent à l’apaisement. François Hollande a notamment rendu visite à Théo. En 2005, à l’inverse, après la mort de Zyed et Bouna, les familles des victimes avaient été ignorées. Mais au moindre incident, lors d’une opération de sécurisation, le mouvement peut très vite partir.  

Comment explique-t-on une telle hostilité entre la police et la population ?

Dans ces quartiers, les contrôles d’identité sont très fréquents. Plus encore lorsqu’on est immigré. Ce sentiment d’être ciblé est constitutif d’une défiance vis-à-vis des autorités. Ces personnes systématiquement visées à cause de leur couleur de peau ou en raison de critères socio-économiques ont le sentiment d’être des citoyens de seconde zone. Cela créé une tension. Les contrôles d’identité qui tournent mal sont ordinaires. Evidemment, le niveau de violence dans l’affaire Théo est heureusement rare, mais les contrôles rugueux, avec des dérapages verbaux voire physiques sont fréquents. En Allemagne, la situation est très différente. Dans des quartiers similaires, la police ne pratique pas de ciblage ethnique, le traitement est presque strictement égal et les relations sont beaucoup plus apaisées.

Certains syndicats policiers ont tenté de justifier une interpellation violente par l’épuisement des forces de l’ordre…

C’est le travail d’un syndicat de soutenir ses membres ! Personne ne conteste le fait que les policiers sont aujourd’hui sursollicités et donc particulièrement fatigués. Mais les comportements de ciblage et la problématique du contrôle au faciès est bien antérieur au contexte terroriste.

Comment améliorer les relations entre la police et les habitants de ces quartiers ?

Il faudrait d’abord reconnaître publiquement le problème. Aujourd’hui, l’égalité de tous devant la police et la non-discrimination est un principe juridique mais il n’est porté par aucun leadership politique. Il n’y a même pas de mécanisme national de contrôle sur l’usage des contrôles d’identité. Il faudrait un plan d’action sur plusieurs années, inspiré par exemple de ce qui vient d’être fait au Québec où un grand plan de lutte contre les discriminations a été lancé dans la police. Il est indispensable de recenser tous les incidents sur le terrain, si certains fonctionnaires "concentrent" certains problèmes… Mais pour tout cela, il faut un engagement et un volontarisme politique qui pour l’instant n’ont pas l’air d’être la priorité.