Affaire Tarnac : comment s'organisent les "déplacements" de procès ?

Dans le dossier Tarnac, le tribunal correctionnel de Paris se déplacera à Dhuisy, en Seine-et-Marne, dans une dizaine de jours.
Dans le dossier Tarnac, le tribunal correctionnel de Paris se déplacera à Dhuisy, en Seine-et-Marne, dans une dizaine de jours. © Capture d'écran Google maps
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Les juges ont accepté mardi le principe d'un déplacement prochain du tribunal correctionnel sur les lieux du sabotage. La mesure, rarement utilisée, permet une "mise en situation".

"Vous ne pourrez vous forger une conviction qu'en vous rendant sur les lieux. Confronter les écrits des policiers à la réalité, c'est constater qu'ils ont menti." La plaidoirie de Me Jeremie Assous, avocat de Julien Coupat, a convaincu les juges du tribunal correctionnel de Paris, mercredi. Au cours du procès Tarnac, qui doit durer trois semaines, tous les acteurs de l'audience se rendront bien à Dhuisy, en Seine-et-Marne, où les principaux prévenus sont soupçonnés d'avoir saboté une ligne SNCF. Une mesure exceptionnelle, qui permettra au tribunal d'examiner le lieu des faits au terme des débats, avant de rendre sa décision.

Une procédure rare. Dans une dizaine de jours juges, procureurs, greffiers, prévenus et avocats se rendront le long des rails dégradés en 2008 - le méfait n'avait pas causé de déraillement mais une pagaille dans la circulation des trains. Julien Coupat, 43 ans, et son ex-compagne, Yildune Levy, tous deux soupçonnés d'avoir participé à ce sabotage, sont désignés par un procès-verbal de police, que leur défense considère comme faux. Selon leurs conseils, le document est truffé d'erreurs sur les horaires, les distances et la présence même de certains policiers sur place. Le procureur, Olivier Christen, juge quant à lui que le déplacement permettra de prouver "que les constatations effectuées par les policiers sont réelles". Pour tenter d'y voir plus clair, les fonctionnaires qui ont effectué la filature à l'époque seront présents sur les lieux.

Contrairement aux reconstitutions, antérieures au procès, la décision d'organiser un déplacement de l'audience est rare. "Surtout pour ce qui touche aux transports", note Me Frédéric Noetinger-Berlioz, avocat au barreau de Thonon-les-Bains, interrogé par Europe1.fr. En 2013, le conseil a défendu des parties civiles au procès de la collision entre un car et un TER, survenue cinq ans plus tôt à Allinges, en Haute-Savoie. "Sept collégiens étaient morts", et le chauffeur du car, la SNCF et RFF poursuivis pour homicides et blessures involontaires. "Au terme d'une douzaine de jours d'audience, un vendredi soir, le tribunal a proposé de se déplacer sur les lieux. Les parties ont accepté, on a organisé ça pour le lundi."

"La dernière mise en situation". En réalité, personne ne découvre l'endroit où se sont déroulés les faits à l'occasion de ce déplacement. Dans l'affaire d'Allinges, "on peut raisonnablement penser que les juges étaient venus voir le passage à niveau pour mieux visualiser les choses au moins une fois avant le début du procès, c'était un lieu public", souligne Frédéric Noetinger-Berlioz. Quant aux parties et au parquet, "ils avaient déjà assisté à la reconstitution de l'accident, dans le cadre de l'instruction".

" Cela permet de se remettre la configuration en tête, juste avant la décision "

Plus minutieuse que le déplacement, la reconstitution convoque des experts, chargés de reconstituer les faits à partir de chaque indice. "On avait fait venir du sud de la France un bus exactement identique à celui qui était impliqué, on l'avait fait avancer exactement à l'allure où il roulait… C'est comme ça qu'ils se sont rendus compte que le chauffeur avait vu la barrière se fermer, avait voulu tourner vers la droite et s'était retrouvé bloqué jusqu'à ce que le train arrive."

Cette étape passée, quel est l'intérêt d'un retour sur les lieux pendant le procès ? "Cela permet de se remettre la configuration en tête, juste avant la décision", souligne Me Noetinger-Berlioz. "On a écouté tout le monde et on veut une dernière mise en situation. À l'époque, je défendais notamment une victime très gravement blessée, qui avait été projetée à 60 mètres du lieu de la collision. On a pu montrer aux juges exactement la distance que cela représentait, leur faire constater que cette jeune fille était une miraculée." Pendant deux heures, les acteurs du procès ont posé des questions, pris des photos, puis répondu aux médias, tenus à  bonne distance. Avant de regagner le tribunal, escortés par des motards de la gendarmerie.

Xynthia, Colonna, et d'autres. "La procédure est précieuse mais peu commune", estime Frédéric Noetinger-Berlioz, avançant l'explication du "manque de temps" des tribunaux pour juger les dossiers. Les magistrats y consentent parfois face à l'émotion des victimes autant que pour éclairer le fond du dossier, comme lors du procès Xynthia, en 2014. Une heure durant, "l'audience" s'était déplacée dans la "cuvette mortifère" de la Faute-sur-Mer. Le temps pour les magistrats et les parties de défiler parmi les lotissements devenus gravats, marquant un arrêt devant les plaques indiquant le nom des habitants morts noyés par familles.

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Le déplacement est aussi possible et plus fréquent aux assises, notamment sur la scène d'un crime. Comme en correctionnelle, il peut être demandé par une des parties mais la décision finale revient aux juges. En 2011, la cour d'assises spéciale de Paris, rejugeant Yvan Colonna pour l'assassinat du préfet Erignac, avait par exemple consenti à une journée d'audience sur les lieux du crime, à Ajaccio. Embarqués à bord d'un avion militaire, les acteurs du procès avaient tous fait le déplacement, encadrés par quelque 640 CRS. Dans d'autres dossiers moins médiatiques, comme celui d'un meurtre commis dans le Calvados en 2012, seuls quelques gendarmes ou policiers sont chargés d'encadrer le déplacement. Le cortège est forcément plus fourni : contrairement au tribunal, un jury populaire est du voyage.