Affaire Grégory : du "coup de théâtre" au fiasco ?

La mise en cause de nouveaux suspects a fait la Une des journaux depuis le mois de juin.
La mise en cause de nouveaux suspects a fait la Une des journaux depuis le mois de juin. © Captures d'écran
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M.L , modifié à
Vieux de 33 ans, le dossier est revenu sur le devant de la scène avec fracas, mi-juin. Mais six mois plus tard, l'espoir de prouver l'implication des trois mis en examen semble mince.

Un "coup de théâtre", un "vrai tournant dans l'enquête", un "rebondissement inespéré"... Le 14 juin, les médias de l'est puis la presse nationale voient, sans y croire, ressurgir l'une des affaires criminelles les plus médiatiques de France. Près de 33 ans après le meurtre de Grégory Villemin, 4 ans, de nouvelles mises en examen font naître l'espoir d'enfin clore une enquête "que la justice et la gendarmerie n'ont jamais abandonnée", rappelle le parquet général de Dijon. Six mois plus tard, trois personnes sont toujours mises en cause sans que le dossier n'ait livré sa vérité, faute de preuve. L'un d'entre eux, Marcel Jacob, jusqu'ici sous contrôle judiciaire strict, a obtenu mercredi le droit de rentrer chez lui.

Le "clan Laroche" au cœur de l'enquête. Le 14 juin, tout va très vite. Au petit matin, les gendarmes se rendent à Aumontzey, à une dizaine de kilomètres de Vaux-sur-Vologne, où avait été kidnappé l'enfant. Là, ils interpellent Marcel Jacob, le grand-oncle de Grégory, et son épouse Jacqueline, tous deux âgés de 72 ans. Le couple, jamais inquiété auparavant, est conduit à la brigade de Bruyères et placé en garde à vue pour complicité d'assassinat, non-dénonciation de crime, non-assistance à personne en danger et abstention volontaire d'empêcher un crime.

Au même moment, Ginette Villemin, la veuve d'un oncle de Grégory, Michel, est arrêtée à Arches, près d'Épinal, puis mise en garde à vue pour les mêmes qualifications. Les informations qui parviennent à la presse font aussi état de deux "auditions" : trop âgés pour être placés en garde à vue, les grands parents du petit garçon, Monique et Albert Villemin, répondent aux enquêteurs à leur domicile d'Aumontzey. La piste familiale, toujours privilégiée par les enquêteurs, trouve un nouveau souffle.

De nouvelles analyses graphologiques. Avec ces auditions, c'est le "clan Laroche" qui se voit à nouveau placé au centre de l'enquête, relancée, notamment, par l'exploitation du logiciel Anacrim, qui permet de recouper tous les éléments d'un même dossier, et par de nouvelles analyses graphologiques. Marcel Jacob et Michel Villemin étaient en effet très liés à Bernard Laroche, premier suspect de l'affaire, tué en 1985 par le père de Grégory. Selon une experte, une lettre de menaces rédigée par le fameux "corbeau" du dossier et envoyée aux parents de l'enfant en 1983 a été écrite par Jacqueline Jacob. Des "similitudes" dans le choix des termes sont en outre relevées entre ce courrier et la lettre de revendication du meurtre, postée avant la découverte du corps.

" Je ne suis pas venu vous dire que l'affaire était résolue "

À l'issue de leur garde à vue, Jacqueline et Marcel Jacob sont mis en examen, cette fois pour "enlèvement et séquestration suivis de mort". Ginette Villemin est, elle, relâchée sans poursuites. "Je ne suis pas venu vous dire que l'affaire était résolue" et "je ne sais pas qui est l'auteur du crime", tempère le procureur Jean-Jacques Bosc lors d'une conférence de presse. Mais les caméras ont à nouveau investi la vallée de la Vologne, trente ans après l'intense campagne médiatique qui avait entouré l'affaire. Photos et vidéos de la maison colorée des Jacob, placés sous contrôle judiciaire strict et contraints de résider séparément loin de leur région, font le tour des journaux.

Murielle Bolle devenue suspecte. Deux semaines plus tard, un autre personnage, cette fois bien connu du dossier, est arrêté à son tour. Témoin clé il y a trois décennies, Murielle Bolle est mise en examen pour "enlèvement" et placée en détention. Son visage d'adolescente, entouré de boucles rousses, avait fait la Une des médias lorsqu'elle avait accusé Bernard Laroche, son beau-frère, du rapt de Grégory Villemin, avant de se rétracter. La femme est désormais âgée de 48 ans, et les enquêteurs s'interrogent sur l'importance de son rôle dans le dossier. Après cinq semaines de détention et une grève de la faim, elle est placée sous contrôle judiciaire, sans contact avec sa famille.

De proche en proche se dessine l'hypothèse d'un "acte collectif", selon le terme employé par le procureur de la cour d'appel de Dijon : Bernard Laroche aurait enlevé l'enfant avec l'adolescente dans sa voiture, pour le remettre aux Jacob. Les semaines et les mois passent. Mi-juillet, le dossier prend un tournant dramatique lorsque le premier juge chargé de l'instruction, Jean-Michel Lambert, tenu pour responsable des errements de l'enquête, se suicide. Dans une lettre laissée derrière lui, il écrit que les derniers rebondissements sont voués "à l'échec".

Quelques semaines plus tard, l'accusation connaît un premier revers. Murielle Bolle est confrontée au témoignage de son cousin, Patrick F., qui affirme qu'elle lui a raconté avoir été victime d'un "lynchage" de sa famille et poussée à changer sa version des faits pour protéger son beau-frère. Mais les avocats de la quadragénaire relèvent plusieurs imprécisions dans le discours de cet homme, pierre angulaire du nouveau scénario exploré par les enquêteurs. Il peine notamment à se souvenir de la date précise de cette "confidence".

Un dossier "vide" pour la défense. Depuis, les avocats des trois mis en cause multiplient les attaques contre un dossier "vide". Les conseils des époux Jacob expliquent notamment que le couple se trouvait à l'usine le jour du meurtre, de 13 heures à 21 heures. Un alibi "inattaquable" et confirmé, selon eux, par de nouveaux témoins. Les avocats de Murielle Bolle réclament, eux, la nullité de la mise en examen de leur cliente en raison de "l'absence d'indices graves et concordants". Ils ont par ailleurs déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la "validité" de la garde à vue de la jeune femme en 1984, au cours de laquelle, mineure, elle n'avait pas été assistée d'un avocat.

" J'ai de la patience et j'ai confiance "

La levée de la mise en examen pourrait également être réclamée par les époux Jacob dans les semaines qui viennent : chacun leur tour, ils ont déjà obtenu un assouplissement de leur contrôle judiciaire, leur permettant de rentrer chez eux (SOUS RESERVE). Leurs avocats martèlent qu'aucun élément nouveau n'est venu éclairer le dossier depuis l'arrêt de la cour d'appel de Dijon, rendu en 1987 et qui blanchissait Christine Villemin, la mère de Grégory, un temps soupçonnée. Dans cette décision, où la justice semblait rendre les armes, les magistrats relevaient qu'il n'existait pas "en l'état", à l'encontre des époux Jacob, "de présomptions suffisantes pour justifier de nouvelles investigations et a fortiori une inculpation" . Quant à Murielle Bolle, une mise en cause leur semblait "impossible".

Un procès aux assises ? Six mois après le "rebondissement", s'achemine-t-on alors vers un nouveau fiasco judiciaire ? Il est trop tôt pour le dire d'après Thierry Moser, conseil des parents Villemin, qui estime qu'il faut laisser le temps aux nouvelles investigations. Ces dernières pourraient durer selon lui jusqu'en 2019. "J'ai de la patience et j'ai confiance", assure-t-il, espérant un renvoi devant la cour d'assises dans cette affaire où le seul procès criminel, jusqu'ici, fut celui de Jean-Marie Villemin pour le meurtre de Bernard Laroche.

Interrogé en 1985 sur son geste, le père de Grégory expliquait avoir eu peur "que l'affaire se termine comme celle de Bruay-en-Artois", allusion à l'assassinat d'une adolescente dans le Pas-de-Calais qui avait défrayé la chronique en 1972. Mystère jamais résolu depuis, comme celui de la Vologne.