Affaire Cottrez : un précédent dans la prescription des crimes ?

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Fabienne Cosnay , modifié à
DÉCRYPTAGE - La Cour de cassation a choisi de renvoyer aux assises Dominique Cottrez pour des crimes a priori prescrits. Une décision qui divise. 

C'est une décision inédite qu'a prise la Cour de cassation, vendredi. La plus haute juridiction civile du pays a statué en faveur du renvoi devant les assises de Dominique Cottrez pour des crimes a priori prescrits. L'aide-soignante sera bien jugée pour le meurtre de huit de ses nourrissons, dont les corps avaient été découverts en 2010 à Villers-au-Tertre, dans le Nord. Cette révolution dans les règles de prescription en matière criminelle ouvre une brèche pour d'autres affaires et divise le monde judiciaire. D'aucuns considèrent en effet que la Cour de cassation est sortie du droit pour se placer sur le terrain de la morale.

• Quelle est la règle en matière de prescription ? En vertu de l'article 7 du Code de procédure pénale, l'action publique s'éteint dix ans après le jour du crime, sauf si, dans l'intervalle, des actes d'instruction ou de poursuite ont été engagés. Or, dans l'affaire Cottrez, la plus importante en matière d'infanticide connue en France, ses avocats Mes Frank Berton et Marie-Hélène Carlier, n'ont eu de cesse de livrer bataille pour obtenir l'extinction des poursuites contre leur cliente. Car les corps des nourrissons ont été découverts en juillet 2010, plus de dix ans après leur mort, et donc après le délai de prescription prévu en matière criminelle.

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• Qu'a décidé la Cour de cassation ? Pour la première fois dans une affaire criminelle, la Cour a estimé que ce délai de 10 ans pouvait être suspendu "dès lors qu'un obstacle insurmontable rend les poursuites impossible".

Reste à définir cet "obstacle insurmontable". Dans l'affaire Cottrez, la Cour a estimé que "l'obésité" de la prévenue avait rendu ces grossesses indécelables par son entourage et avaient donc constitué "un obstacle insurmontable à l'engagement des poursuites"."De fait, le délai de prescription s’est trouvé suspendu jusqu’à la découverte des corps", justifie la juridiction.

• En quoi cette décision est-elle inédite ? Jamais la prescription n'avait été remise en cause dans une affaire criminelle. Avec cette décision, la Cour s'aligne sur la jurisprudence appliquée en matière de délits financiers, des infractions par nature "dissimulées", pour lesquelles la prescription court à partir de leur découverte et non de leur commission.

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• Quelles répercussions après cette décision ? Dans son arrêt, la Cour de Cassation prend soin de préciser que la suspension du délai de prescription "repose sur des circonstances exceptionnelles" et que "cet arrêt ne prétend pas faire jurisprudence en matière de meurtre en général". Dit autrement, la juridiction exclut de déroger par principe aux règles de prescription pour les prochains dossiers criminels qui lui seront soumis.  

 

cassation

• Mais est-ce du ressort du juge ? Les avocats de l'aide-soignante ont reproché à la Cour de cassation d'avoir pris une décision au nom de la morale. "Cette décision constitue une victoire de la morale sur le droit, et ça, c’est très grave. Une petite poignée de juges s’est arrogé le droit de contourner les règles procédurales en vigueur, au nom de l’émoi suscité par l’affaire", a déploré Me Frank Berton, l'un des conseils de Dominique Cottrez. Le procureur de la République de Douai, Éric Vaillant a reconnu à demi-mots que la Cour de cassation était allée sur un terrain moral. "Il y avait bien un problème de droit. Mais il me paraissait aussi évident, moralement, que quand on tue huit bébés, on doit répondre de ses actes. Le contraire aurait été incompréhensible pour les Français", confiait le magistrat, ce week-end, dans les colonnes de La Voix du Nord.

L'association internationale des victimes de l'inceste (AIVI) qui plaide pour une imprescriptibilité de l'inceste - comme pour un crime de guerre ou un crime contre l'humanité - , estime que l'affaire Cottrez ouvre une brèche dans les délais de prescription en matière criminelle. Pour autant, l'association estime que le débat doit être porté par le législateur et non par le juge. "La Cour de Cassation est sortie du droit, il revient désormais aux députés et sénateurs de se saisir de ces questions", souligne Isabelle Aubry, la présidente de l'AIVI, contactée par Europe 1.