Accusations de violences sexuelles : que sait-on du scandale qui secoue l'athlétisme français ?

Deux enquêtes ont été ouvertes en une semaine (photo d'illustration).
Deux enquêtes ont été ouvertes en une semaine (photo d'illustration). © KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP
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M.L avec Cyrille de La Morinerie et AFP
Depuis les révélations du Monde, dimanche, les témoignages se multiplient à l'encontre de deux entraîneurs, accusés d'agressions sexuelles et, pour l'un d'entre eux, de viols. 

 

Le spectre de l'affaire Weinstein et du mouvement #metoo avait jusque-là relativement épargné le monde du sport français. Mais ce temps pourrait être révolu. Cette semaine, la justice a ouvert des enquêtes sur deux entraîneurs d'athlétisme de haut niveau, visés par des plaintes de jeunes femmes qu'ils ont coachées. D'autres témoignages sont depuis venus dénoncer "l'emprise" de l'un d'entre eux sur ses élèves. Europe 1 fait le point sur ce que l'on sait de cette affaire.

Comment l'affaire a-t-elle éclaté ?

À l'été 2017, une fonctionnaire de la direction régionale de la Jeunesse, des Sports et de la cohésion sociale (DRJSCS) est alertée d'une probable affaire de viol : l'une des anciennes athlètes de Giscard Samba, entraîneur de l'US Créteil, affirme avoir été agressée quelques mois plus tôt lors d'un stage de groupe en Italie et a porté plainte. L'employée de la DRJSCS interroge d'autres sportives et ex-sportives et recueille plusieurs témoignages, avant d'alerter, comme le lui impose la loi, le parquet de Créteil. Nous sommes mi-mars 2018.

Hasard de calendrier : quelques semaines plus tôt, une jeune spécialiste des courses de demi-fond, Emma Dodiou, plusieurs fois sélectionnée en équipe de France a porté plainte contre un autre entraîneur, Pascal Machat, qu'elle accuse d'agression sexuelle. Elle a adressé un courrier au parquet de Fontainebleau. Les deux affaires, distinctes, sont révélées par Le Monde dans son édition du week-end dernier, sous le titre : "violences sexuelles : la justice saisie des cas de deux entraîneurs d'athlétisme".

Qui sont les deux entraîneurs accusés ?

Giscard Samba est un entraîneur de premier plan sur la scène française de l'athlétisme, nommé "technicien de l'année" par la fédération en 2013. Le coach a entraîné, Dimitri Bascou, médaillé de bronze sur 110 m  haies aux JO de Rio 2016, mais aussi Cindy Billaud et Pascal Martinot-Lagarde, détenteurs des records de France du 100 m haies et du 110 m haies. Ces derniers se sont depuis exprimés auprès de RMC Sport, employant des mots très forts à l'égard de leur ex-entraîneur. "Ça ne m'étonne pas qu'il y ait des filles qui se plaignent, c'était tout à fait le type de personnage qu'il était", a réagi la première, évoquant sans plus de précision la relation "un peu secrète" qu'elle avait entretenu avec lui, qui parlait "tout le temps de sexe à l'entraînement".

Le second se souvient de "quelqu'un qui était maître d'une secte" et "voulait entrer dans la tête des gens". "Je ne vais pas aborder tous les aspects qu'il a eu avec les femmes, mais je connais le chemin et les biais qu'il a utilisés pour arriver à ses fins et faire les choses dégueulasses qu'il a faites, si on arrive à le prouver", témoigne Pascal Martinot-Lagarde.

Par la voix de son avocat, Me Sahban, l'entraîneur a, lui, dénoncé le caractère "délirant" de ces accusations, affirmant que le coach "dispose de preuves accablantes à l'encontre des personnes" l'accusant. "Il faut être extrêmement prudent (...) Je ne vois pas qui commettrai des faits aussi graves entouré d'un certain nombre d'athlètes", a réagi le conseil au micro d'Europe 1. 

Pascal Machat, entraîneur national de demi-fond, "conteste" aussi vigoureusement les faits évoqués dans la plainte qui le vise. Âgé d'une cinquantaine d'années, moins médiatique que Giscard Samba, l'entraîneur est accusé d'agressions répétées, mains aux fesses et gestes déplacés, entre 2013 et 2014.

Comment a réagi la fédération ?

Lundi, la Fédération française d'athlétisme (FFA) a expliqué avoir saisi "sans délai" sa commission de discipline, qui "se réunira en avril" pour traiter l'affaire Machat, et en mai pour l'affaire Samba. "La FFA prend ces deux affaires très au sérieux. Les faits supposés pour chacune de ces deux affaires, s'ils sont avérés, vont à l'encontre de la dignité humaine et des valeurs que nous portons", a réagi l'instance en publiant un communiqué sur son site. "C'est le travail d'instruction de la commission de discipline qui permettra d'entendre les témoignages et confronter les acteurs avant de prendre une décision", précise-t-elle.

Interrogé sur Europe 1 lundi, le président de la FFA, André Giraud, a assuré que sa fédération se montrerait "très très ferme" et ne laisserait "rien passer" face à ces affaires.

Que va-t-il se passer maintenant ?

Les investigations doivent désormais se poursuivre dans le cadre de deux enquêtes, ouvertes ces derniers jours. L'une vise Giscard Samba, pour viol, agression sexuelle et harcèlement sexuel, et est confiée à la police judiciaire du Val-de-Marne. La seconde, pour agression sexuelle, est menée par le commissariat de Fontainebleau. En attendant, Pascal Machat travaille "dans un bureau", loin des athlètes, a assuré André Giraud. La FFA a symboliquement demandé à ce que la même mesure d'éloignement soit prise à l'encontre de Giscard Samba, salarié du club de Créteil et non de l'État. Mardi, le président général de la structure a semblé suivre cette recommandation, demandant aux dirigeants de la section athlétisme de suspendre l'entraîneur "à titre conservatoire".

De son côté, l'avocat de Giscard Samba a affirmé que son client se réservait "le droit d'agir contre toutes celles et ceux qui ont proféré des diffamations à son encontre durant les derniers jours".