À Paris, les "petites" affaires terroristes bientôt jugées en circuit court

Dès le mois de février, de "petites affaires" de terrorisme seront jugées en comparution immédiate (photo d'illustration).
Dès le mois de février, de "petites affaires" de terrorisme seront jugées en comparution immédiate (photo d'illustration). © AFP
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Des infractions comme la consultation de site djihadistes ou l'apologie du terrorisme peuvent désormais être traitées sans juge d'instruction, parfois en comparution immédiate. Les premières audiences sont attendues en février.

"Nous sommes indubitablement face à un défi." À l'Automne,  le président du tribunal de grande instance (TGI) de Paris, Jean-Michel Hayat, dressait un constat sans appel. "Sur les neuf premiers mois de 2016, on eu une hausse de 80,4 % du nombre d'informations judiciaires ouvertes en matière de terrorisme, par rapport à l'année précédente. Dans le même temps, le nombre de dossiers traités a augmenté de 89,7%." Face à cette "déferlante de dossiers", le magistrat proposait alors plusieurs pistes de réflexion, parmi lesquelles un "circuit court" réservé aux affaires "assez simples", "pour éviter de passer par la phase de l'instruction" et désengorger les tribunaux. Loin de faire l'unanimité, ce dispositif a été façonné en quelques mois et mis en place sans grande publicité à Paris, début 2016.

"Infractions terroristes à intensité basse". Depuis le 2 janvier - date de la rentrée du TGI -, les affaires liées au terrorisme peuvent être classées selon leur "intensité". Le circuit court ne s'applique en effet qu'aux "infractions terroristes à intensité basse", comme la consultation de sites djihadistes, ou l'apologie du terrorisme. En pratique, cela signifie que la chambre d'instruction n'est pas saisie : après son enquête, le parquet confie directement le dossier à la juridiction correctionnelle, en charge du jugement. "Il fallait apporter une forme de respiration aux juges d'instruction", a justifié la présidence du tribunal à 20Minutes. Ces magistrats, spécialisés dans l'antiterrorisme, sont passés de huit à dix entre 2014 et 2016. Une onzième demande de poste est en attente, mais cela ne suffira pas à absorber l'afflux de dossiers.  

Si cette "respiration" fait consensus dans le monde de la justice, un autre aspect du circuit court fait grincer les dents des avocats : le dispositif prévoit de juger certaines "petites affaires" par la voie de la comparution immédiate, une procédure qui consiste à présenter les prévenus au tribunal dès la fin de leur garde à vue. Ce type de jugement, parfois critiqué comme étant de "l'abattage judiciaire", ne devrait être appliqué au terrorisme qu'à partir du mois de février. Christian Saint-Palais, président de l'Association des avocats pénalistes (ADP), s'y oppose fermement, soulignant que la défense n'aura que peu de temps pour se préparer : "je crains qu'on se prive de la possibilité d'obtenir suffisamment de renseignements sur les faits et sur la personnalité des prévenus."

Entendu sur europe1 :
S'il y a bien un domaine où on ne doit pas faire fi de la complexité du dossier, c'est celui du terrorisme

"On sait que la majorité des comparutions immédiates ne se déroulent pas bien", poursuit le conseil. "Les personnes ont passé plusieurs jours en garde à vue et ne sont pas en état de se défendre, les juges sont pressés dans leur décision. Or, s'il y a bien un domaine où on ne doit pas faire fi de la complexité du dossier, c'est celui du terrorisme." L'avocat critique également le terme d'"infractions à intensité basse", estimant que leur liste est amenée à s'allonger. "Récemment, on a vu le tribunal de Créteil prononcer une condamnation à quinze ans de prison pour agression sexuelle, en comparution immédiate, alors qu'il y a quelques années, on nous expliquait que le dispositif ne permettrait jamais ce genre de peines. Qu'est-ce qui nous dit que ça ne sera pas la même chose pour le terrorisme ?"

La spécialisation de la 16ème chambre renforcée. Du côté des magistrats, on tempère, rappelant que le tribunal est en mesure de faire effectuer des vérifications complémentaires. "Quand elles reçoivent un dossier compliqué, les juridictions correctionnelles peuvent le renvoyer au procureur pour qu'il ouvre une information et désigne un juge d'instruction", détaille Jacky Coulon, secrétaire national de l'Union syndicale des magistrats (USM). "Quant à la défense, elle a toujours la possibilité de demander un renvoi pour se préparer." Et de souligner un autre aspect "profitable" du circuit court : "Il renforce la spécialisation de la 16ème chambre du tribunal de grande instance, devant qui toutes les comparutions immédiates liées au terrorisme seront jugées."

Cette mesure, qui doit permettre aux juges de renforcer leurs aptitudes en la matière, n'est "pas critiquable", reconnaît Christian Saint-Palais. "Avec une chambre spécialisée, on a plus de chances de voir des décisions de justice cohérentes", estime l'avocat. "A condition qu'elle ait le temps de se pencher sur le dossier, évidemment."