2016, année de "tension" entre la police et la population

Dans son rapport annuel 2016, le Défenseur des droits fait notamment référence aux manifestations contre la loi Travail.
Dans son rapport annuel 2016, le Défenseur des droits fait notamment référence aux manifestations contre la loi Travail. © ALAIN JOCARD / AFP
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Selon le rapport annuel du Défenseur des droits, publié jeudi, le nombre de dossiers liés à la "déontologie de la sécurité" a augmenté de près de 35% entre 2015 et 2016.

"Un contexte sécuritaire et social très tendu". C'est en ces mots que le Défenseur des droits, décrit l'année 2016 dans son rapport annuel d'activité, publié jeudi. Alors que la mobilisation se poursuit autour de l'affaire Théo, un jeune homme de 22 ans victime d'un viol présumé lors de son interpellation par la police, fin janvier, Jacques Toubon pointe des relations dégradées entre la population et les forces de l'ordre, notamment après la mobilisation contre la loi Travail. Les réclamations transmises à l'institution pour des manquements à la "déontologie de la sécurité" sont ainsi passées de 910 en 2015 à 1.225 en 2016, soit une augmentation de 34,6%. Alors que dans le même temps, l'ensemble des réclamations n'a augmenté "que" de 8,8%.

L'état d'urgence, mais pas seulement. "L'année 2016 a été marquée par un contexte sécuritaire lié à la menace terroriste et à la mise en oeuvre de l'état d'urgence, auquel est venue s'ajouter la crise migratoire (la situation à Calais notamment) et un mouvement de protestation d'ampleur contre la loi "Travail"", note le Défenseur des droits, soulignant que les forces de l'ordre ont été "particulièrement sollicitées et mobilisées". Jacques Toubon précise que si les réclamations ont augmenté dans ce domaine, "le taux de constats de manquements, lui, reste stable depuis 2011", à 9,3% des dossiers instruits. Mais pour le Défenseur, la seule hausse du nombre de saisines "témoigne des relations tendues entre une partie de la population et des forces de l'ordre".

" Une partie d'entre eux a fait état de propos déplacés discriminatoires, en raison de leur pratique religieuse musulmane "

Pour le Défenseur, cette augmentation "sans précédent" s'explique notamment par le contexte de l'état d'urgence, permettant un emploi accru des perquisitions administratives. Sur ce point, "la majorité des réclamants a allégué une procédure de nuit, impressionnante par la présence d'effectifs nombreux, munis d'armes de poing et/ou cagoulés, et a souligné l'absence d'explication", note Jacques Toubon.

"Une partie d'entre eux a fait ensuite état de violences physiques, de violences psychologiques, notamment à l'égard des enfants présents, et parfois, de propos déplacés et discriminatoires en raison de leur pratique religieuse musulmane." Si ces pratiques ont pu détériorer l'image des forces de l'ordre, l'institution estime cependant que ses recommandations ont été "suivies" par les pouvoirs publics en la matière, le garde des Sceaux et le Préfet de police de Paris ayant "attiré l'attention des services concernés sur les précautions à prendre lors de perquisitions."


Jacques Toubon : "Une enquête sur la...par Europe1fr

Gaz lacrymogènes, grenades, matraques et flash-ball. Le régime d'exception, en vigueur depuis novembre 2015, n'est donc pas l'élément central du rapport qui s'épanche, en revanche, sur la mobilisation contre le texte de loi porté par la ministre Myriam El-Khomri. En marge des manifestations contre le texte, organisées de mars à septembre 2016, partout en France, des heurts ont souvent éclaté avec les forces de l'ordre, ciblées par des groupes de "casseurs" et répondant par l'usage de la force. Concernant ce seul mouvement, le Défenseur a été saisi de plus de 120 réclamations. "Un grand nombre de celles-ci concerne l'usage de la force et des armes par les forces de l'ordre : elles mettent en cause principalement l'utilisation de gaz lacrymogènes, de grenades, de matraques et de lanceurs de balles de défense", pointe Jacques Toubon.

Ces armes sont à l'origine de plusieurs accidents graves, comme la blessure d'un manifestant qui a perdu l'usage de son oeil en marge d'une manifestation rennaise, en avril 2016. Dans son rapport, le Défenseur choisit lui d'évoquer l'exemple de Rémi Fraisse, décédé en 2014 après un tir de grenade d'un gendarme. L'institution s'était auto-saisie de l'affaire, avant de conclure à l'absence de faute du militaire. Jacques Toubon rappelle cependant qu'il avait, dans ces mêmes conclusions, "critiqué le manque de clarté des instructions données aux militaires par l'autorité civile et par leur hiérarchie, ainsi que l'absence d'autorité civile au moment du drame."

Un tiers de saisines pour "violences". Mais ces deux exemples ne suffisent pas, à eux seuls, à expliquer l'augmentation des saisines liées à la "déontologie de la sécurité" en 2016. Celles-ci concernent essentiellement des violences présumées de la part des forces de l'ordre (32,9%), des faits de non-respect de la procédure (14,6%) et des refus de plainte (13%). Le "défaut d'attention à l'état de santé" et les "fouilles intégrales pénitentiaires" sont également mentionnées par les requérants. Plus de la moitié des dossiers concernent la police nationale (54,9%), un peu moins d'un quart l'administration pénitentiaire, et 13,6% la gendarmerie nationale.

En pleine affaire Théo, une statistique du rapport attire particulièrement l'attention : "parmi la minorité de personnes déclarant avoir fait l'objet d'un contrôle d'identité (...), plus d'une sur cinq (23%) rapporte avoir été confrontée à un comportement des agents de sécurité qui ne respecteraient pas le code de déontologie (tutoiement, insultes, brutalité)". Mais seule "une infime minorité" d'entre eux a décidé d'engager une démarche pour faire valoir ses droits, en raison d'un "manque de confiance envers les instances policières et judiciaires". Le sentiment est particulièrement prégnant chez "les personnes qui se déclarent perçues comme noires ou arabes".

Comment inverser la tendance ? Au-delà du système d'attestation de contrôle d'identité, pour lequel le Défenseur des droits s'était déjà prononcé afin de réduire les contrôles "au faciès", Jacques Toubon avance, dans son rapport, plusieurs pistes pour améliorer les relations entre police et population. Il évoque une expérimentation couronnée de "succès", menée par six de ses délégués dans plusieurs régions de France, consistant à régler "à l'amiable" des affaires mettant en cause des policiers et gendarmes nationaux, grâce au dialogue. Le rapport ajoute que des formations sont assurées dans les écoles de police, pour apporter, notamment, "des éléments de connaissance sur les discriminations directes et indirectes prohibées par la loi." Une initiative similaire à destination des fonctionnaires de police municipale est prévue pour 2017.