Les abeilles sont-elles des droguées ?

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Noémi Marois avec AFP
SCIENCE - Un insecticide provoquerait une chute de la fertilité des abeilles et développerait chez elles une dépendance.

Voilà des résultats qui vont donner du grain à moudre aux adversaires des insecticides à base de néonicotinoïdes, en premier lieu les apiculteurs. Selon deux études publiées mercredi dans la revue scientifique Nature, ce produit neurotoxique serait particulièrement néfaste pour les abeilles et les bourdons qui, sous l'effet de cet insecticide, se reproduiraient moins et développeraient une dépendance. Des études précédentes ont déjà montré que des abeilles exposées aux néonicotinoïdes avaient du mal à reconnaître les caractéristiques des fleurs, à s'orienter, à butiner, ce qui conduisait à la disparition de colonies entières.

Colza traité : colonies sans fécondité. Les chercheurs ont étudié 16 champs de colza dont la moitié était traitée aux néonicotinoïdes. Ils y ont analysé les collectes de pollen par les insectes ainsi que leur comportement.
"Le résultat le plus spectaculaire est que les colonies de bourdons n'ont quasiment pas grossi dans les sites traités", explique Maj Rundlof de l'université de Lund, en Suède. A la fin de l'expérience, on y dénombrait moins de cocons que dans les pièces non traitées.

"Pièges écologiques". "Les grandes cultures en fleurs sont des sources de nourriture importantes pour les abeilles sauvages, mais elles peuvent se transformer en pièges écologiques si les butineuses sont exposées à des pesticides tels que les néonicotinoïdes", relèvent par conséquent les auteurs de cette étude inédite, puisque c'est le premier essai à être réalisé en plein air, dans des conditions réelles. 

Une préférence pour les plantes traitées ? Ces observations viennent se rajouter à une deuxième étude, tout aussi alarmante. Selon cette dernière, non seulement les abeilles ne peuvent éviter les fleurs traitées aux néonicotinoïdes, mais il se pourrait bien qu'elles les préfèrent. 

Certains ont en effet suggéré que soient plantées des parcelles traitées à côté d'autres, non traitées, pour les abeilles. Or, cette étude montre, après observation de centaines de bourdons et d'abeilles en laboratoires, qu'ils n'ont pas vraiment le choix. Quand on leur propose du pollen seul à côté de pollen associé à un néonicotinoïde, les abeilles comme les bourdons ne rejettent pas ce nectar, mais préfèrent même se tourner vers lui.

Comme une drogue ? Comme la nicotine, "il se peut que les néonicotinoïdes agissent comme une drogue, rendant la nourriture plus gratifiante", avancent les chercheurs. "Je crois que cette expérience montre que ces composants ont un effet pharmacologique sur le cerveau de l'abeille," pointe Geraldine Wright, de l'université de Newcastle.

Les abeilles sont frappées depuis des années, notamment en Europe et en Amérique du Nord, par un effondrement de leurs colonies, attribué aux pesticides. Mais un virus ou des champignons sont aussi suspectés d'affaiblir ces insectes. 

Des cultures alimentaires dépendantes des abeilles. Formant 80% des insectes pollinisateurs, les abeilles sont pourtant essentielles à la sécurité alimentaire mondiale. Selon la FAO (Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture), sur les 100 cultures qui produisent 90% de l'alimentation mondiale, 71 dépendent du travail des abeilles.

Moratoire européen depuis 2013. Les néocicotinoïdes sont des insecticides neurotoxiques très répandus dans le monde. Ils sont en effet considérés comme beaucoup moins néfastes sur les neurones des mammifères que les insecticides précédemment utilisés. En décembre 2013, l'Union européenne a néanmoins imposé pour deux ans un moratoire partiel sur trois types de néonicotinoïdes. 

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