De petites trouvailles à Prix Nobel 2018

Le Français Gérard Mourou a été récompensé pour sa découverte du "scalpel de lumière" en physique.
Le Français Gérard Mourou a été récompensé pour sa découverte du "scalpel de lumière" en physique. © AFP
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Ugo Pascolo
Au micro de Wendy Bouchard, Antoine Jacob, journaliste qui a couvert de nombreux prix Nobel, et Alain Cirou, spécialiste sciences d'Europe 1, racontent les petites histoires qui ont fait les prix Nobel scientifiques de cette année.
LE TOUR DE LA QUESTION

"Ce sont les Oscars de la science", mais ils sont peu connus. Les prix Nobel 2018 de physique, de médecine et de chimie ont été remis cette semaine, respectivement pour la conception "d'instruments de précision avancée qui ouvrent des champs inexplorés de recherche et une multitude d'applications industrielles et médicales", pour "l'inhibition de la régulation immunitaire négative" et pour avoir "dompté les principes de l'évolution". Derrière ces termes très techniques se cachent des applications bien concrètes demandant des années de recherche, souvent récompensées longtemps après leur découverte. 

Invités de Wendy Bouchard jeudi, Antoine Jacob, journaliste qui a couvert de nombreux prix Nobel et Alain Cirou, spécialiste scientifique d'Europe 1 dévoilent les coulisses surprenantes des recherches et de l'obtention de ces trois prix Nobel 2018. Ou quand les petites trouvailles sont à l'origine de grandes découvertes...

Prix Nobel de physique : le "scalpel de lumière"

Attribué mardi à trois scientifiques, dont le Français Gérard Mourou, le prix Nobel de médecine a une histoire toute particulière. "On a parlé d'outils de lumière, mais ce qui est extraordinaire c'est que ce prix a été attribué pour quelque chose que l'on connaît tous : les lasers", explique Alain Cirou. "Gérard Mourou a imaginé la technique permettant des opérations, notamment des yeux avec des lasers, comme une sorte de 'scalpel de lumière'. Alors qu'il a l'idée de couper le laser en impulsions, un de ses étudiants a eu un accident dans un laboratoire et reçoit une impulsion dans l’œil. Emmené à l'hôpital, le jeune homme a été ausculté par un ophtalmo qui est intrigué par sa blessure : le trou causé par laser était très net, sans débris, chirurgical. Et ce médecin a demandé à travailler avec Gérard Mourou. Ça a démarré comme ça", raconte Alain Cirou. 

Prix Nobel de médecine : la "pirouette intellectuelle" de l’immunothérapie

Les découvertes en immunothérapie de James P. Allison et Tasuku Honjo ont permis, depuis une trentaine d'années, "de fabriquer des médicaments qui sauvent la vie à des malades atteints de cancer qui étaient précédemment incurables", analyse Alain Cirou. "Traditionnellement, en immunothérapie, ce sont les défenses de l'organisme qui sont mises en avant pour combattre l'invasion des cellules cancéreuses. Cela fait à peu près une centaine d'années que les chercheurs avaient cette idée. Mais eux, plutôt que de 'booster les défenses', ils ont eu l'idée d'en lever les freins. Ce qui n'est pas tout à fait la même chose. [...] Et c'est cette 'pirouette intellectuelle' qui est intéressante. Ils ont trouvé une façon de lever les freins pour que la défense de l'organisme soit plus efficace", poursuit l'expert, qui conclut : "Cette découverte a permis la mise au point de pleins de médicaments anti-tumoraux et qui sont très efficaces".

Prix Nobel de chimie : l'inspiration du modèle vivant

"Comme en médecine, le prix Nobel de chimie travaille sur l'homme et la nature. [...] Cette année, le prix a été attribué aux Américains Frances H. Arnold et George P. Smith et au Britannique Gregory P. Winter, qui se sont inspirés du modèle naturel. On appelle cela le bio-mimétisme : 'voyons ce qu'a inventé la nature et essayons de le reproduire'", décrypte Alain Cirou. "Ces chercheurs ont mis au point des produits chimiques à partir des mutations aléatoires des organismes vivants. En clair, c'est du darwinisme", résume-t-il.

"Quand vous regardez la nature et son histoire, il y a eu pleins de tentatives d'évolutions, certaines ont marché, d'autres non. Et la nature a progressé comme cela. Ce n'était pas toujours le plus efficace qui fonctionnait, mais c'était le plus adapté. [...]", poursuit l'expert d'Europe 1. "Les lauréats du Nobel ont trouvé un processus chimique pour reproduire la même chose en laboratoire : faire pleins d'essais et ne retenir que les bonnes évolutions. Ça consiste à faire tourner le modèle vivant pour regarder ce qui améliore certains paramètres, et les garder. C'est une piste extraordinaire parce qu'on a sans doute beaucoup à apprendre de la nature dans le futur : elle a 500 millions, voire 1 milliard d'années d'avance sur nous et a eu des beaux succès. Et nous avons besoin d'en avoir aussi". 

De la découverte au Nobel, parfois une longue attente

 

Il ne faut pas croire qu'une découverte, aussi importante soit-elle, mène directement au Nobel. "On se laisse le temps de savoir si c'est utile et concret", explique sur Europe 1 le journaliste Antoine Jacob, qui a couvert de nombreux prix. "On essaye de savoir si telle ou telle invention a fait ses preuves avant une récompense", précise-t-il. Par exemple, le prix Nobel de médecine de l'année 2008, attribué notamment aux Français Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi, récompense leurs recherches sur le rétrovirus du Sida qui datent... de 1983.

Ce temps de réflexion permet d'éviter des erreurs de jugement, assure le journaliste. "Dans les années 1940, la lobotomie apparaissait comme une méthode intéressante pour soigner. Et le Portugais Egas Moniz a eu un prix Nobel de médecine, en 1949, pour ses recherches dans ce domaine, alors que la pratique apparaît aujourd'hui comme scandaleuse", cite-t-il comme exemple.