L’Europe s’accorde sur les perturbateurs endocriniens : une avancée en trompe-l’œil ?

© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
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Pour la première fois, les Etats membres de l’Union européenne se sont accordés sur des critères permettant de règlementer sur ces substances chimiques jugées nocives. 

"Toute substance active utilisée dans les pesticides identifiée comme perturbateur endocrinien pour les personnes ou les animaux pourra être évaluée et retirée du marché". C’est une petite phrase de deux lignes, et certains seraient tentés d’y voir un grand pas pour l’Union  européenne. Après un feuilleton de plus de trois ans, les Etats membres de l’UE se sont accordés mardi sur un texte permettant de retirer du marché un produit contenant des perturbateurs endocriniens.

Après des années de tentatives de définition de ces substances accusées de dérégler fortement le système hormonal, les membres du comité technique de l’Union sont parvenus à fixer des critères précis pour permettre de les "identifier". La France, longtemps critique face aux critères proposés par Bruxelles, a cette fois voté "pour". A-t-elle obtenu des garanties supplémentaires ? Pas vraiment. Et le texte, s’il permet de passer un cap décisif, ne satisfait pas grand monde. Décryptage.

Comment l’Europe définit-elle les perturbateurs endocriniens ?

Ces substances chimiques sont susceptibles d'agir sur le système hormonal et d'être à l'origine de dysfonctionnements comme l'obésité ou l'infertilité, de malformations congénitales ou de retard de développement. Des perturbateurs endocriniens peuvent se nicher dans les pesticides, mais aussi plusieurs produits de la vie quotidienne, comme les cosmétiques, les produits alimentaires voire même les jouets. Jusque-là, tout le monde est d’accord. Ce qui a longtemps divisé les Européens, c’est la question de savoir comment reconnaître la présence d’un perturbateur endocrinien dans un produit.

Pour réussir à identifier un perturbateur endocrinien, un certain nombre d’études sont faîtes.  Or, selon les études, le dérèglement hormonal entraîné par un produit est "suspecté", "présumé" ou "avéré". En outre,  dans certaines substances, comme les pesticides, on a constaté un effet seulement chez certains insectes, et non chez les animaux.

" Les critères votés ne protégeront ni les humains ni la nature "

Le texte adopté mardi par le comité technique de l’Union européenne, dans lequel siégeait un représentant pour chaque Etat de l’Union, a retenu dans sa définition tout produit pour lequel le risque est "présumé" ou "avéré", et ce chez l’animal ou chez l’homme. Exit donc les produits simplement "suspectés". Exit également les produits où le risque n’est avéré (pour l’instant) que chez les insectes. Sous la pression de l’Allemagne et de ses puissants fabricants de pesticides (Bayer et BASF), l’Union européenne a en effet introduit une clause excluant de la règlementation les perturbateurs endocriniens où le risque n’a été constaté que chez les insectes.

Dans un communiqué, la Commission européenne s’est réjouie d’une "avancée qui va lui permettre de commencer à travailler sur une nouvelle stratégie pour minimiser l'exposition des citoyens européens aux perturbateurs endocriniens".

Pourquoi ce texte fait polémique ?

Le texte va donc permettre aux Etats membres d’interdire les produits où le risque est "avéré" et "présumé". C’est une première, mais cela ne va pas assez loin, selon de nombreuses associations. Les opposants à ce texte regrettent que le risque "suspecté" ait été écarté, tout comme ils regrettent la clause excluant les produits où un risque a été constaté seulement chez les insectes.

Monique Goyens, du Bureau européen des organisations de consommateurs (BEUC), y voit ainsi une "approche qui contredit le principe de précaution". "Les critères votés aujourd'hui (...) requièrent un niveau tellement élevé de preuve (de la toxicité des substances chimiques) qu'ils ne protègeront ni les humains ni la nature", a renchéri Genon K. Jensen, qui représente EDC-Free Europe, une coalition de plus de 70 organisations, cité par l’AFP.

" Nous regrettons que la Commission n’ait pas écouté la grande inquiétude du Danemark et de la Suède "

La Suède, qui comme le Danemark a voté contre le texte, a estimé par la voix de son représentant que les critères retenus "ne sont pas en ligne avec les réglementations de base et les niveaux élevés de protection auxquels ils se réfèrent". "Nous regrettons que la Commission n’ait pas écouté la grande inquiétude du Danemark, de la Suède et d’autres, soulignant que les critères proposés exigent, pour pouvoir identifier un perturbateur endocrinien, un niveau de preuve jamais exigé jusqu’à présent pour d’autres substances problématiques comme les cancérogènes, les mutagènes et les reprotoxiques", précise au Monde Karolina Skog, la ministre suédoise de l’environnement.

Même chez les fabricants de pesticides, les nouveaux critères sont rejetés en bloc. "Les critères ne fournissent aucune protection supplémentaire pour la santé et l'environnement et ne servent qu'à avoir un impact disproportionné et discriminatoire sur les agriculteurs européens qui vont souffrir d'une nouvelle réduction arbitraire du nombre d'outils à leur disposition", a réagi Graeme Taylor, porte-parole de l'ECPA, organisation qui représente les industriels du secteur (BASF, Dow, DuPont, Monsanto, Syngenta) à Bruxelles.

Les opposants ont appelé le Conseil (représentant les 28) et le Parlement européen, qui ont trois mois pour examiner le texte avant sa finalisation, à le rejeter.

Quelle est la position de la France ?

La France, longtemps opposée aux critères proposés par l’UE, a finalement voté en faveur du texte (comme 20 autres Etats membres). La raison de ce revirement ? "Par rapport au premier projet proposé par la Commission en juin 2016, la définition adoptée concerne aussi les perturbateurs endocriniens présumés. Il s’agit d’une avancée importante pour la santé et l’environnement", s’est justifié dans un communiqué le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot.

Or, comme le constate plusieurs journalistes qui ont eu accès au texte – dont la correspondante d’Europe 1 à Bruxelles – le texte proposé mardi est le même que celui proposé depuis le mois de mai, contre lequel la France s’est toujours montrée critique en raison de son insuffisance.

Contacté par l’AFP, Nicolas Hulot s’explique : "On a gagné une bataille mais pas la guerre". Selon lui, l’adoption d’une réglementation est déjà une avancée. En outre, le ministre français assure se réserver le droit d'interdire unilatéralement certaines substances sur son territoire par des mesures "complémentaires".

Un positionnement toutefois moins optimiste que celui de... la Fondation Nicolas Hulot, créée par l'actuel ministre il y a 26 ans. Dans un texte commun avec 70 autres associations, celle-ci dénonce "une définition au goût amer" adoptée par l'UE, regrettant "le caractère insuffisant des critères".