La pénurie de médicaments inquiète en France

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Mélanie Gomez, édité par Anaïs Huet
L'absence en pharmacie de certains médicaments, comme certains anticancéreux ou traitements neurologiques, peut engendrer "un risque grave et immédiat" pour le patient, selon la loi santé du 26 janvier 2016.
ON DÉCRYPTE

En 2017 en France, plus de 500 médicaments essentiels ont été signalés en tension ou rupture d'approvisionnement, soit 30% de plus qu'en 2016 et dix fois plus qu'il y a dix ans. Ces pénuries régulières de médicaments et de vaccins sont particulièrement préoccupantes. Mais à quoi sont-elles dues, et quelles conséquences ont-elles pour les patients et les pharmaciens. Europe 1 vous explique.

Une situation très angoissante pour les patients

Parmi les médicaments concernés, on retrouve des antibiotiques, des vaccins pour les enfants, mais aussi certains anticancéreux ou traitements neurologiques. En ce moment, on connaît par exemple une rupture de stock sans précédent sur le médicament principal contre la maladie de Parkinson, le Sinemet. En France, même s'il existe des génériques pour le substituer, cette situation est très angoissante pour les 45.000 patients qui le prennent quotidiennement, à l'image de Line, 81 ans. Sans ses huit comprimés par jour, sa vie devient un enfer. "Je ne tiens pas debout. J'ai dû mal à manger, à monter une cuillère à ma bouche", raconte-t-elle au micro d'Europe 1. Line a encore du stock de Sinemet pour tenir jusqu'à décembre.

L'octogénaire a testé le médicament générique, mais il ne lui convenait pas. "Je vomissais, j'avais mal à l'estomac, et j'avais du mal à me nourrir", explique-t-elle. Aujourd'hui, Line a "très peur". "J'ai des angoisses, je me demande ce que je vais devenir sans médicament. Je ne pourrai plus bouger… C'est comme la mort", confie-t-elle.

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Comment explique-t-on ces pénuries ?

Dans le cas du Sinemet, un problème de fabrication est à l'origine de la rupture de stock. Une seule usine le produit. Située aux États-Unis, elle a dû fermer temporairement pour se mettre aux normes. C'est donc tout le marché mondial qui est impacté. Des problèmes de ce type sont de plus en plus fréquents en France, car la plupart des structures qui fabriquent les médicaments ou leurs matières premières sont aujourd'hui délocalisées à l'étranger, notamment en Asie. Pour répondre à la demande mondiale, les salariés travaillent en flux tendu.

Ces conditions de travaillent engendrent parfois des incidents graves. C'est ce qui s'est passé cet été, en Chine, dans une usine qui fabrique l'un des médicaments contre l'hypertension les plus vendus en France, le Valsartan. "Il est apparu une impureté potentiellement cancérigène dans la production de la matière première. Ce qui a entraîné l'arrêt de la production. Aujourd'hui, on est presque en rupture de Valsartan, même si on a des alternatives à ce médicament", précise Dominique Martin, directeur général de l'Agence de sécurité du médicament.

Et quand ce ne sont pas des problèmes de production, ce sont des problèmes de distribution qui conduisent aux pénuries, et c'est ce qui choque le plus les professionnels du secteur. Entre le laboratoire et la pharmacie, il y a des intermédiaires, qu'on appelle des grossistes répartiteurs. Leur travail consiste à acheter les médicaments aux laboratoires pharmaceutiques pour les revendre ensuite aux pharmacies de leur secteur géographique. Or, ils en vendent aussi aux pays étrangers, notamment en Allemagne et en Italie, qui paient plus cher qu'en France, où les prix sont tirés vers le bas parce qu'ils sont bien remboursés.

Officiellement, les grossistes répartiteurs n'ont pas le droit de vendre à l'étranger des médicaments qui sont en pénurie en France. Mais il n'existe quasiment aucun contrôle dans ce secteur. "Le grossiste à qui l'on commande régulièrement des médicaments nous dit qu'il ne peut pas nous livrer car il y a une rupture de stock. Mais quand on appelle le laboratoire, il nous dit qu'il peut nous en envoyer", s'exaspère Gilles Bonnefond, de l'Union des syndicats des pharmaciens d'officine. "On gère ça tous les jours, ça prend au moins 20 minutes entre le coup de téléphone à notre grossiste, le coup de téléphone au médecin, le coup de téléphone au laboratoire… On se dépanne entre confrères, heureusement. Mais le patient ne comprend pas, il est stressé, et il se demande si ça va durer", rapporte-t-il.

Des prévisions inquiétantes

Interrogée par Europe 1, l'Agence du médicament confirme d'ailleurs que les ruptures de stock vont persister cette année. Pour l'année 2018, les chiffres apparaissent déjà comme tout aussi inquiétants qu'en 2017, soit toujours 30% de signalements en plus par rapport à l'année précédente. 

Mardi matin, une mission d'information du Sénat va rendre ses conclusions pour lutter contre ce problème majeur qui peut mettre en danger de nombreux patients.