Faut-il s'inquiéter des ambitions de docteur Google ?

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En concrétisant son alliance avec Sanofi, le géant américain franchit un pas de plus dans sa conquête du secteur médical. 

La coentreprise de Sanofi et de Google prend son envol. Le géant pharmaceutique français et Verily, filiale santé d'Alphabet (le nom de la maison mère du moteur de recherche), ont annoncé lundi la création de leur coentreprise Onduo. Celle-ci aura pour mission de concevoir et développer de nouveaux objets connectés dans le domaine du diabète. Un pas de plus dans la marche du géant américain du numérique vers la conquête du secteur médical mondial.

Car en parallèle de son alliance avec Sanofi, Alphabet a étendu ses tentacules dans des dizaines d'autres projets. Verily (anciennement Google Life Sciences) est ainsi associé avec sept laboratoires de recherche, dont le Britannique GSK spécialisé dans la bioélectronique, l'Américain Johnson and Johnson spécialiste des robots chirurgicaux ou encore le Suisse Novartis, pour mettre au point des lentilles connectées à des fins médicales. Calico, une autre filiale de Google spécialisée dans la lutte contre le vieillissement, a quant à elle signé cinq partenariats avec de grands labos spécialistes de la généalogie génétique, de la lutte contre le vieillissement ou du traitement des maladies dégénératives.

En 2015, GV (Google Venture), un fonds d'investissement, gérait pas moins de deux milliards d'euros d'actifs avec des participations dans plus de 300 start-up spécialisées dans le domaine médical. Et le moteur de recherche expérimente actuellement aux Etats-Unis un dispositif d'automédication ultra-précis, en partenariat avec des médecins américains.

Mais un géant du numérique a t-il sa place dans le secteur médical ? Europe 1 a posé la question à Laurent Alexandre, chirurgien-urologue, propriétaire de DNA Vision (une entreprise belge spécialisée dans la génétique) et auteur de La Mort de la mort et Google démocratie.

Google investit dans tous les secteurs de la santé. Mais un géant du numérique a t-il vraiment les compétences pour s'occuper de notre santé ?

La santé est de plus en plus une science de l'information, avec de plus en plus de données informatiques. Il est donc normal que les géants du numérique investissent dessus. Vous avez Google mais aussi IBM, Microsoft et même Apple, qui développe toujours plus d'applications dans ce domaine. La santé est de plus en plus un monde de l'intelligence artificielle et de moins en moins un monde de docteurs. L'ADN d'une tumeur, par exemple, représente 20.000 milliards de données. Même "Dr House" ne peut pas analyser autant de données lors d'une simple consultation, dans son cabinet avec une règle et un stéthoscope. Cela va forcément devenir de plus en plus le règne de l'ordinateur.

Des milliards de données médicales vont se retrouver entre les mains d'entreprises privées. N'est-ce pas la fin du secret médical ?

Je pense que les grandes plateformes du numériques respecteront le secret médical. Le problème est que l'industrie médicale du futur ne se construit pas en Europe. Le secteur médical européen risque d'être vassalisé par Google et les multinationales américaines. Ils vont construire l'économie de demain, développer des algorithmes géants, certes sans médecins, mais sans nous également. On pourra importer, mais cela coûtera cher et appauvrira notre économie. Et le patient lambda n'aura plus l'argent pour se soigner en Europe.

Comment éviter les conflits d'intérêt et, par exemple, que Google revende ses données à des assurances, lesquelles pourraient alors fixer leur prix en fonction des informations dont elles disposent sur les patients ?

Une loi peut encadrer les conflits d'intérêt et protéger le secret médical. Aux Etats-Unis, par exemple, une loi interdit de vendre des données médicales aux assurances. Ça, c'est facile à faire. Ce qui n'est pas facile à faire, c'est de faire émerger des géants du numérique. En France, tout le monde s'extasie sur BlaBlaCar. Mais BlaBlaCar, cela pèse un milliard d'euros. Google, c'est 500 milliards. Certes, tout est dangereux. Mais il y a une hiérarchie des dangers. Je pense qu'il y a moins de risques que Google porte atteinte à votre vie privée qu'il n'y a de risque que l'Europe devienne un continent sous-développé des nouvelles technologies.

Les données informatiques brutes ne servent à rien. Il faut des scientifiques pour les analyser, les interpréter. Pensez-vous que le monde de la recherche acceptera de collaborer avec le monde du numérique ?

Les meilleurs chercheurs commencent déjà à travailler pour les géants du numérique. La question, c'est de savoir si un chercheur français d'un laboratoire public acceptera longtemps de travailler pour deux ou trois Smic, alors que les géants du numérique lui proposent dix fois plus. Le risque est de provoquer une exode des chercheurs français et que d'ici 2050, il n'y ait plus de recherche publique en France.