Vers la fin du "et de droite et de gauche" ?

Edouard Philippe Emmanuel Macron
La politique de l'exécutif a-t-elle trop tendance à pencher vers la droite ? Certains le pensent. © LOIC VENANCE / AFP
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Alors que le gouvernement se concentre volontiers sur les entreprises, une partie de la majorité déplore qu'il n'investisse pas assez le champ social.

Ni de droite, ni de gauche mais tous pragmatiques et mus par la même envie de se mettre en marche. La belle promesse d'Emmanuel Macron à sa majorité hétéroclite a-t-elle fait son temps ? Au gré des réformes et des annonces, la balance penche tout de même trop d'un côté, regrette une partie de la majorité. Qui reproche à l'exécutif de penser plus avec son hémisphère droit qu'avec son hémisphère gauche, et de délaisser le champ social pour se concentrer uniquement sur la flexibilité du marché du travail et les marges des entreprises.

Pas toujours "à l'aise dans leurs baskets".Lundi dernier, dans L'Opinion, Brigitte Bourguignon, présidente de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale a été la première à se faire l'écho de l'inquiétude de certains élus. "Je ne veux pas que l'on soit seulement courageux dans le domaine économique", a martelé celle qui raconte avoir "clairement indiqué qu['elle] était de gauche" la première fois qu'elle a rencontré Édouard Philippe. "On a un plan de relance de l'activité, il faut un plan de relance social. 'Pauvre', ce n'est pas un gros mot." Il ne faut pas y voir une critique, mais un rappel, tempère la députée auprès d'Europe1.fr. "Je comprends la cohérence du projet, et j'y crois. Je mets simplement en garde contre le risque d'un déséquilibre. Nous avons deux objectifs : libérer les énergies et protéger les individus. L'un ne peut aller sans l'autre. Un pays qui avance, un pays digne, c'est un pays qui ne laisse personne sur le bord de la route." Lors de sa rencontre avec le Premier ministre, la députée a donc choisi de lui faire part de la nécessité d'"envoyer de vrais signaux dans le domaine social", notamment en faveur du secteur associatif. "Je lui ai également dit mon inquiétude quant aux effets néfastes d'une réduction brutale et aveugle du nombre de contrats aidés financés en 2018."

Du côté des socialistes qui ne se sont pas mis en marche, on rirait presque du malaise naissant, à défaut de trouver cela surprenant. "Franchement, je me demande si, parmi les ex-socialistes qui ont rejoint la REM, certains sont toujours à l'aise dans leurs baskets", persifle un député Nouvelle Gauche. "Ils sont à l'aise avec la suppression des emplois aidés ? Avec la baisse des APL ?"

" Je mets simplement en garde contre le risque d'un déséquilibre. Libérer les énergies ne peut aller sans protéger les individus. "

"Favoriser ceux qui ont des revenus et du capital". De fait, jusqu'ici, le gouvernement a semblé enchaîner les mesures favorables aux entreprises, avec les ordonnances réformant le code du travail, a promis également une réforme de l'ISF dès l'année prochaine, tandis que les mesures en faveur du pouvoir d'achat semblent devoir prendre plus de temps. La baisse des cotisations sociales, par exemple, n'interviendra qu'en deux temps, au 1er janvier prochain puis dans un an. Alors que le non-renouvellement de milliers de contrats aidés ou la baisse des APL prennent effet immédiatement, les initiatives qui doivent venir les compenser (respectivement la réforme de la formation et le projet de loi sur le logement) sont, eux, toujours en cours d'élaboration. "Pour les économies, il y a une date butoir, mais pour les mesures en faveur du pouvoir d'achat, non. Il ne faudrait pas qu'il y ait trop de décalage", avertit Brigitte Bourguignon.

Il y a donc, à tout le moins, un problème de temporalité. "Le risque, c'est que les mesures fiscales qui vont stimuler la création d'emplois à moyen terme ne favorisent, dans un premier temps, ceux qui ont des revenus et du capital", résume dans Le JDD l'économiste Jean Pisani-Ferry, qui a travaillé sur le programme d'Emmanuel Macron.

En prenant la parole, Brigitte Bourguignon s'est attirée quelques commentaires acerbes. Mais aussi de la sympathie d'autres députés de la majorité. "Des collègues m'ont dit que j'avais raison. Et qu'en tant que présidente de la commission des Affaires sociales, j'étais dans mon rôle."

"Pas toujours évident" mais "on assume". Pour la majorité des élus REM, néanmoins, il n'est pas question de parler de déséquilibre. Mickaël Nogal, député de Haute-Garonne et ex-PS, s'est investi dans l'élaboration du plan logement. "Quand on explique qu'on va faire une grande réforme et que finalement on ne retient que la baisse des APL, il y a une part de mauvaise foi chez nos opposants et les commentateurs", regrette-t-il. Sur le non-renouvellement d'une partie des emplois aidés, Mickaël Nogal admet que "c'est un choix pas toujours évident". Mais "on assume". "Sur une année de transition, on hérite du budget de la majorité précédente."

" Quand on explique qu'on va faire une grande réforme et que finalement on ne retient que la baisse des APL, il y a une part de mauvaise foi. "

Plus généralement, l'élu se refuse à opposer systématiquement mesures libérales et sociales, de droite ou de gauche. "Je ne pense pas que ce soit toujours très pertinent", explique-t-il. "Quand on décide de mettre en place un abattement fiscal pour encourager les propriétaires de terrains constructibles à les vendre afin de pouvoir construire des logements, on part d'une idée communément classée comme libérale, mais avec une finalité sociale."

Communication. Dans les rangs des "marcheurs", nombreux sont donc ceux qui soutiennent que l'équilibre est respecté. Brigitte Bourguignon elle-même a apprécié les annonces du gouvernement, jeudi dernier, en matière d'insertion et de pauvreté. "J'ai été écoutée par le Premier ministre", se félicite-t-elle. Certains élus admettent néanmoins des erreurs de communication. "Avec les 12 élèves par classe de CP en zone prioritaire, on a fait une rentrée de gauche", martèle le chef de file des sénateurs REM, François Patriat. "Et on en parle beaucoup moins que de la baisse des APL. Je ne dis pas que c'est la faute des journalistes. C'est la nôtre. Il faut qu'on arrive à montrer qu'Emmanuel Macron est aussi le président des pauvres."

Le montrer aux Français, mais aussi à une majorité qui, dans le cas contraire, pourrait s'impatienter. "Je suis farouchement attachée à la justice sociale et à la dignité des plus faibles", prévient Brigitte Bourguignon, qui "attend avec beaucoup d'impatience et d'espoir la stratégie de lutte contre la pauvreté", qui doit être annoncée le 17 octobre prochain. "Je défendrai ces convictions chaque fois que cela sera nécessaire."