Valls est-il "germano-compatible" ?

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ANALYSE - Le Premier ministre a vanté le couple franco-allemand dans son discours de politique générale. Et pourtant…

"Wir haben eine gemeinsame Verantwortung, Europa eine Zukunft zu geben. Und wie Mitterrand und Kohl, François Hollande und Frau Merkel sind davon überzeugt.*" Non, ces mots ne sont pas sortis de la bouche d’Angela Merkel, mais bien de celle de Jean-Marc Ayrault au micro d’Europe 1, le 15 juin 2012, après sa première rencontre avec la chancelière.Ancien professeur d’allemand, il était le Premier ministre parfait à l'heure où François Hollande engageait un bras de fer avec Angela Merkel sur la question de la renégociation du traité européen. Mais qu’en est-il de son successeur, Manuel Valls ?

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Ayrault 1 - 0 Valls. Quand, dans ses jeunes années, Jean-Marc Ayrault s’éprenait de la langue de Goethe en découvrant le pays à vélo avec le Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne (MRJC), la première "immersion" de l’Allemagne dans le parcours du Catalan de naissance ressemble à une occasion manquée. Nous sommes en 1986. Jean-François Dubos, co-directeur du cabinet de Charles Hernu, ministre de la Défense de François Mitterrand, raconte comment, à cette époque, il a "pistonné" Manuel Valls - et d’autres - pour lui éviter de faire son service militaire outre-Rhin, lui qui commence alors à faire ses armes en politique à Paris.

Le nouveau chef du gouvernement, fier de ses origines espagnoles, a le regard davantage tourné vers la Méditerranée et "compte tenu de son histoire personnelle et de son éducation, c’est logique", explique à Europe1.fr Jacques Hennen, auteur de la seule biographie consacrée à Manuel Valls, "Le Conquistador", prochainement en librairie**. L’ancien maire d’Evry entretient notamment une relation fusionnelle avec le Maroc.Ses connexions et ses réseaux lui ont même valu d'être décoré par le "Wissam Alaouite", prestigieuse décoration marocaine équivalente à la légion d'honneur française.

Souviens-toi en 2005… Mais Manuel Valls est un pragmatique qui a fait évoluer sa ligne au gré des circonstances. Quand, en avril 2013, Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, envisage une "confrontation" avec l’Allemagne sur la politique économique, le ministre de l’Intérieur d’alors estime alors que "ces propos sont irresponsables. Ils risquent de mettre en très grande difficulté la relation historique entre nos deux pays, essentielle pour l’avenir de l’Union européenne". L’Europe, il n’en a pourtant pas toujours été un grand aficionado.

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En 2005, le Parti socialiste, alors dirigé par François Hollande, se divise férocement autour de la question du référendum français sur le traité établissant une constitution pour l'Europe. L’actuel chef de l’Etat fait campagne pour le "oui". Gerard Schröder, alors chancelier allemand (en photo avec Jacques Chirac), aussi, et assure à quel point "l’attelage franco-allemand" est nécessaire pour faire avancer l’Europe.Mais Manuel Valls, lui, est pour le "non". En bon camarade, ce dernier décide finalement, après le référendum interne au PS où les militants ont décidé de soutenir le ‘oui’, de jouer le jeu. Il s’en était d’ailleurs expliqué dans une tribune publiée dans Le Monde, titrée : "j’ai milité pour le ‘non, je voterai ‘oui’ au référendum." Un long texte sur la construction européenne dans lequel le mot "Allemagne" n’est pas écrit une seule fois…

"Par rapport à 2005, il a évolué, oui. Il ne fait pas partie des européistes absolus, et est encore moins un germano-idolâtre. Il marche avec le temps, s’adapte. Ses proches loueront ici sa plasticité politique. Ses détracteurs le taxeront d’opportunisme", décrypte Jacques Hennen, qui connait bien le Premier ministre, et reconnait que lors des entretiens préparatoires à la rédaction de son livre, "le sujet de l’Europe a été très peu abordé entre [eux]".

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"Mettre en place un ministère commun franco-allemand de l’Economie". Manuel Valls n’est pas pour autant un eurosceptique. L’importance du couple franco-allemand, il la connait. En 2011, quand il décide se lancer dans la primaire socialiste, il se rend donc à Berlin pour parfaire ses connaissances. Pascal Brice, actuel directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), se souvient, dans "Le Conquistador", avoir organisé une rencontre avec le conseiller pour les Affaires européennes de la chancelière Merkel : "Manuel s’imprègne, auprès de ce conseiller qui parle parfaitement français, de la problématique franco-allemande", a-t-il résumé d’une phrase. La même année, Manuel Valls publie un livre-programme*** dans lequel il affirme que "relancer le projet européen passe aussi par la réaffirmation du couple franco-allemand."

En 2011 toujours, il essuie les plâtres d’une émission de politique fiction diffusée sur Canal Jimmy : "Si j’étais président…" A la question : "quel pays visiteriez-vous en premier ?", la réponse de Manuel Valls fuse : "l’Allemagne". Sa première mesure en tant que chef de l’Etat ? "Mettre en place un ministère commun franco-allemand de l’Economie."

Lors de son discours de politique générale, le 8 avril dernier, Manuel Valls l’assure encore avec force : il est "très attaché à la solidité du couple franco-allemand". Ce qui fait dire à Carlos Da Silva, député de l’Essonne très proche de Manuel Valls contacté par Europe1.fr, que le Premier ministre est "un européen convaincu. Comme il l’a expliqué dans son discours de politique générale, il souhaite  travaille avec Angela Merkel. Mais il a également parlé d’un euro trop fort, signe que son approche a deux facettes. C’est d’ailleurs la position de François Hollande." Et n’allez pas dire à cet intime du Premier ministre que le départ de Jean-Marc Ayrault est un problème dans la relation Paris-Berlin : "non, il n’est pas prof d’allemand, c’est vrai, mais il n’y a pas besoin de savoir parler allemand pour avoir conscience de l’importance du couple franco-allemand en Europe."

 Certes, mais il convient en revanche d’être convaincu du bien-fondé politique de cet attelage historique. "C’est un féru d’histoire qui sait ce que la paix doit à l’Europe. Mais économiquement et politiquement, il est ce que l’on pourrait appeler un ‘euro-méfiant’. Il est plutôt dans l’idée de rééquilibrer le rapport de force avec Berlin", juge Jacques Hennen, qui se lance même dans un pari, avec le sourire : "les négociations auxquelles il sera amené à participer seront fermes, j’en suis certain !"

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Merkel attendra… Manuel Valls a pourtant très vite décidé de donner des gages au voisin d’outre-Rhin. Sa première visite à l’étranger - certes non-officielle -, c’est à l’Allemagne qu’il l’a consacrée. Tout sauf anodin. Lundi, à l’invitation du SPD - les sociaux démocrates -, le "Gerhard Schröder français" - ou "le Sarkozy de gauche", les médias allemands s’amusent des deux comparaisons -  participait à une conférence sur la Première Guerre mondiale à Berlin, où il a prononcé un discours devant le ministre allemand de l’Economie, Sigmar Gabriel, ainsi que le président du parlement européen, Martin Schulz. "C’est important que mon premier déplacement soit en Allemagne" car "l'amitié entre nos deux pays est un moteur précieux pour l'Europe", a lancé, certes timidement, le Premier ministre français à son arrivée à Berlin.

En revanche, Manuel Valls n’a pas croisé Angela Merkel. "Il n’a jamais prononcé son nom lors de nos entretiens », précise même Jacques Hennen. Une femme qu’il ne connait pas encore, mais qu’il va rencontrer "probablement après les élections européennes", avance son entourage. Un traducteur sera dans ses bagages.

* "Nous avons la responsabilité commune de donner un avenir à l’Europe parce que l’Europe est aujourd’hui en crise et doute de son avenir. Et je suis sûr que, comme Mitterrand et Kohl, Merkel et Hollande trouveront ensemble la réponse."

**L’ouvrage est une réédition de "Manuel Valls, les secrets d’un destin", de Jacques Hennen et  Gilles Verdez, Éditions du Moment, 2013.

*** "L’énergie du changement, l’abécédaire optimiste", édition du Cherche-Midi, 2011.

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