Social : et si le printemps 2018 ressemblait au printemps 1968 ?

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Margaux Baralon (avec Olivier Samain) , modifié à
Le réseau de DRH Entreprise et Personnel publie une note de conjoncture pour l'année prochaine. Celle-ci alerte sur la possibilité d'un nouveau printemps social l'année prochaine.

"C'est l'histoire d'une société qui tombe et qui, au fur et à mesure de sa chute, se répète sans cesse pour se rassurer : jusqu'ici, tout va bien, jusqu'ici, tout va bien…" Jusqu'ici, tout va bien en effet pour le gouvernement, qui a pu passer sans encombre des réformes pourtant promises, sur le papier, à une contestation sociale forte. Les ordonnances visant à réformer le code du travail ont certes conduit des milliers de personnes dans la rue, mais sans commune mesure avec la contestation sociale engendrée par la loi El Khomri. Le début de l'hiver s'annonce calme lui aussi, avec un projet de loi de finances 2018 qui suscite bien des débats mais pas de fronde.

Néanmoins, ce qui s'apparente en surface à une paix sociale pourrait bien ne pas durer. C'est la conclusion d'Entreprise & Personnel, réseau de DRH qui rassemble 110 des plus grandes entreprises françaises du secteur privé et du secteur public. Dans sa note de conjoncture sociale annuelle pour 2018, cette association souligne que rien n'est encore joué pour l'exécutif. Qui s'expose au risque de voir la contestation exploser au printemps.

Un calme social relatif. D'abord parce que le calme social est relatif. Il repose surtout sur le fait que "les syndicats sont bousculés et éparpillés", écrit Jean-Pierre Basilien, l'auteur de la note. "À chacun sa stratégie." Mais cela ne signifie pas qu'ils soient satisfaits. Certes, FO adopte une position pragmatique qui peut surprendre, mais la CGT reste toujours dans une position dure et contestataire. Surtout, la CFDT, qui s'était montrée coulante avec le gouvernement précédent, et la CFE-CGC, peu connue pour son radicalisme, sont déçues. "La CFDT voit s'écorner des acquis importants de la précédente mandature, comme le compte pénibilité", explique Jean-Pierre Basilien. "Quant à la CFE-CGC, elle est devenue l'opposant le plus farouche aux réformes."

" La politique de l'exécutif renvoie essentiellement à un référentiel de droite. "

Une politique inscrite "dans un référentiel de droite". Entreprise & Personnel souligne en outre les limites de la promesse d'équilibre faite par Emmanuel Macron et incarnée dans le fameux élément de langage "et en même temps". Selon l'association, la politique économique menée jusqu'ici "s'inscrit dans une conformité au courant libéral dominant en Europe" et "renvoie essentiellement à un référentiel de droite". Difficile, alors, de continuer à dire qu'on n'est ni de droite ni de gauche, ou de l'un et de l'autre. "On touche ici aux limites de l'exercice rhétorique", pointe Jean-Pierre Basilien dans sa note. "Il reste des marqueurs forts de la droite et de la gauche." Résultat : il existe bel et bien "un ressentiment social diffus devant une politique perçue comme déséquilibrée", estime Entreprise & Personnel.

Un premier scénario optimiste pour l'exécutif. Et rien ne dit que ce ressentiment social ne va pas trouver un moyen de s'exprimer. Jean-Pierre Basilien identifie deux scénarios possibles, l'un plutôt optimiste pour le gouvernement, l'autre nettement moins. Dans le premier cas, l'opposition resterait dispersée et le climat social apaisé. Mais cela ne peut intervenir que dans l'hypothèse où "les résultats commencent à se voir, qu'on commence à croire qu'une amélioration sensible est possible et que la politique du gouvernement y est pour quelque chose", explique à Europe 1 Jean-Pierre Basilien. Autrement dit, la paix sociale ne s'obtiendra qu'avec des "résultats significatifs sur l'emploi" qui feront oublier les déceptions et les polémiques. Certes, il subsistera alors toujours une opposition de gauche, mais elle serait marginalisée.

Un scénario qui risque de se heurter aux prévisions du gouvernement lui-même : dans son intervention télévisée du 15 octobre, Emmanuel Macron se donnait de dix-huit mois à deux ans pour récolter les premiers fruits de sa politique.

Un deuxième qui l'est beaucoup moins. Le deuxième scénario est nettement moins optimiste pour Emmanuel Macron. "On peut anticiper une difficulté à convaincre que ces réformes apportent effectivement [aux Français] une sécurité à hauteur de ce qui a été accordé aux entreprises en matière de flexibilité", détaille Jean-Pierre Basilien. Il y aurait alors un terreau favorable à "un sentiment d'un déséquilibre, d'une forme d'injustice sociale pour les salariés dans leur parcours professionnel".

Entendu sur europe1 :
Il peut y avoir le sentiment d'un déséquilibre, d'une forme d'injustice sociale pour les salariés dans leur parcours professionnel.

Ce scénario ne s'appuie pas uniquement sur des difficultés de communication du gouvernement, mais aussi sur des réalités économiques. "La reprise pourrait être pauvre en emplois, eu égard aux réserves de productivité dans beaucoup d'entreprises", écrit Entreprise & Personnel dans sa note de conjoncture. Les premières réformes du gouvernement peuvent également avoir des effets pervers au début de leur mise en œuvre. "Les nouvelles facilités en matière de licenciement conduiraient dans un premier temps à une vague de licenciements. Les contrats précaires continueraient à augmenter."

Souviens-toi mai 68. Si tel était le cas, la contestation sociale pourrait grandir. D'autant qu'Entreprise & Personnel identifie deux réformes qui pourraient jouer le rôle de détonateur. La mise en place de la sélection à l'entrée de l'université, d'abord. Le sujet, très sensible, est à même de provoquer une vague de contestation chez les jeunes. Ensuite, la réforme des retraites promise par Emmanuel Macron, qui devrait commencer à être élaborée l'an prochain. Celle-ci s'annonce dense et polémique, avec la suppression des régimes spéciaux et un nouveau mode de calcul. L'Histoire a montré que de telles réformes étaient tout à fait à même de provoquer une levée de boucliers populaires. "Le rendez-vous social serait alors plutôt celui d'un mai 2018, 50 ans après…", conclut Entreprise & Personnel.

Alors que le gouvernement songe à commémorer mai 1968, cet anniversaire pourrait donc se rappeler à son bon souvenir plus brutalement que prévu.