Rumeurs, Bayrou, Sarkozy : pourquoi Alain Juppé a perdu la primaire

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Dans un livre qui revient sur la campagne du maire de Bordeaux pour la primaire de la droite, Gilles Boyer, conseiller d'Alain Juppé, analyse les raisons de la défaite.

Huit-cents jours. C'est la durée totale de la campagne pour la primaire de la droite menée par Alain Juppé, entre 2014 et 2016. Avec, tout du long, la présence à ses côtés de son bras droit, propulsé sans même être officiellement prévenu tant cela paraissait évident au maire de Bordeaux, directeur de campagne. Gilles Boyer, fidèle conseiller politique, aura été sur tous les fronts, gérant les médias et les réunions, les adversaires et les amis, les élans d'espoir et les accès de doute, pendant plus de deux ans. Trois mois après la défaite de son patron, sur lequel il ne tarit pas d'éloges, il revient dans un livre, Rase Campagne (éd. JC Lattès), sur cette course à l'investiture qui devait être victorieuse, et lui a finalement laissé l'impression d'être écrasé par "un 33 tonnes".

Gilles Boyer s'attache, dans la dernière partie d'un livre qui relève plus du portrait d'un conseiller politique que du listing d'anecdotes de campagne, à chercher les raisons de la défaite. "J'ai besoin de comprendre", écrit-il, "comment nous avons pu faire la course en tête pendant deux ans, et voir tout basculer dans les quinze derniers jours."

Surestimer Nicolas Sarkozy. Le bras droit d'Alain Juppé, que certains ont qualifié de "sniper" en référence aux tweets caustiques qu'il n'a pas manqué de publier pendant la campagne, identifie d'abord "une erreur fondamentale". "Toute notre stratégie était basée sur un affrontement avec Nicolas Sarkozy qui n'a pas eu lieu. Nous avons joué le second tour avant le premier." À trop miser sur le rejet du sarkozysme, Alain Juppé n'a pas su susciter une adhésion suffisante, poussant les électeurs à chercher une alternative. Gilles Boyer admet avoir "surestimé" l'ancien président, pour lequel il réserve par ailleurs les quelques piques de son ouvrage (il se rend à ses meetings "comme on va chez le dentiste").

" Toute notre stratégie était basée sur un affrontement avec Nicolas Sarkozy qui n'a pas eu lieu.  "

Le poids de l'âge et le souvenir de 1995. "Finalement, je crois que l'âge a joué", estime aussi Gilles Boyer dans son livre. Qui écarte l'hypothèse que le poids de la condamnation du maire de Bordeaux dans l'affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris en 2004 ait eu un impact négatif. Les (mauvais) souvenirs des grandes manifestations de 1995, en revanche, ont "peut-être" dissuadé quelques électeurs, croit savoir le conseiller. "À l'occasion des manifs contre la loi El Khomri, on a mesuré les résistances du corps social à toute évolution, même modeste, et les réminiscences de 95 n'en ont été que plus vives."

Les rumeurs de la "fachosphère". Gilles Boyer se penche aussi sur "les accusations de compromissions avec l'islam radical" et les nombreuses rumeurs qui ont circulé sur Internet dans la dernière ligne droite de la campagne. Parfois appelé "Ali Juppé" par la fachosphère, Alain Juppé a été soupçonné de financer la plus grande mosquée d'Europe à Bordeaux ou de fréquenter des imams de la frange radicale. "J'ai longtemps pris ça à la légère", admet Gilles Boyer. "J'ai clairement sous-estimé la crédulité des destinataires [de chaines de mails calomnieux]. Je me suis trompé : il s'est trouvé des gens" pour y croire.

Sous-estimer les débats. Sous-estimée, aussi, l'importance des débats télévisés pendant lesquels François Fillon a marqué des points et engrangé des intentions de vote précieuses. Sous-estimée, encore, la volatilité de l'électorat de droite, ce qui a permis au Sarthois d'engranger 33 points de plus que ne le prédisaient les sondages en une seule semaine. Sous-estimée, enfin, "la puissance mobilisatrice de l'électorat catholique qui s'est forgé une unité à l'occasion du débat sur le mariage pour tous", analyse Gilles Boyer.

" Depuis le début, je considère que François Bayrou nous rapporte davantage de voix au centre qu'il ne nous en coûte à droite. "

Le soutien de Bayrou, "rien de bien grave". En revanche, le conseiller appuie sur un point : selon lui, le soutien affiché de François Bayrou à Alain Juppé ne lui a pas nui. Ou du moins, "rien de bien grave". "Pour les Français, c'est un homme politique populaire, cohérent, qui a toujours refusé de transiger avec ses convictions au profit d'un portefeuille", rappelle le conseiller. "Depuis le début, je considère que François Bayrou nous rapporte davantage de voix au centre qu'il ne nous en coûte à droite."

Pas assez, néanmoins, pour permettre à Alain Juppé d'être le candidat de la droite pour la présidentielle. Désormais, Gilles Boyer le conseiller passe de l'autre côté de la barrière : il est candidat à l'investiture pour les législatives dans les Hauts-de-Seine. Avec l'optimisme et l'humour qui le caractérisent. "Tant que je ne dirige pas ma propre campagne, tous les espoirs sont permis !"