Richard Ferrand, homme atout fer d’Emmanuel Macron

Richard Ferrand
Le secrétaire général du mouvement En Marche!, Richard Ferrand, en meeting à la Porte de Versailles, à Paris, le 10 décembre. © AFP
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Axel Roux
Fidèle parmi les fidèles, le député du Finistère, qui a su s’imposer comme un pilier de la galaxie Macron, est devenu ministre de la Cohésion des territoires mercredi.

"Les macronistes sont ceux des débuts, les macrolatres ceux de la campagne, les macro-compatibles sont ceux post-électoraux." Le glossaire est signé du sénateur LR Roger Karoutchi, contempteur sur Twitter des ralliés de la dernière heure à Emmanuel Macron – en particulier quand ceux-ci sont de droite. S’il existe en tout cas un macroniste de la première heure, c’est bien Richard Ferrand, nommé ministre de la Cohésion des territoires, mercredi 17 mai. Depuis le 6 avril 2016, date à laquelle le mouvement En Marche! a été lancé, le député du Finistère a été de toutes les batailles. Petites ou grandes. De l’assemblage des comités locaux aux services après vente du candidat sur les plateaux télés et radios. Avec parfois un sens du verbe foudroyant. Portrait d’un couteau-suisse de la politique au parcours tranchant.  

Inclassable depuis ses 18 ans

C’est presque une lubie chez Richard Ferrand, s’engager sans perdre de temps. Fasciné par François Mitterrand, il prend sa carte au PS le jour de ses 18 ans, le 1er juillet 1980. Il la rendra trente-six ans plus tard après être devenu le premier transfuge socialiste à passer chez En Marche!. Un temps journaliste (il contribuera notamment au journal Le Monde), il monte une agence de graphisme et un cabinet de conseil. A la différence d’autres quinquas du PS (Manuel Valls, Benoît Hamon, Arnaud Montebourg, Vincent Peillon) qui occupent déjà les bancs de l’Assemblée ou des cabinets ministériels, Richard Ferrand entre sur le "tard" en politique.

Originaire de Rodez, dans l’Aveyron, il ne brigue son premier siège qu'en 1998 au Conseil général du Finistère, après avoir fait ses armes en Bretagne auprès de Kofi Yamgnane, ancien secrétaire d'État de François Mitterrand et très implanté localement. Arrimé électoralement, Richard Ferrand prend la tête des Mutuelles de Bretagne la même année et tente à deux reprises de ravir la mairie de Carhaix au régionaliste Christian Troadec, futur leader des Bonnets rouges. En vain. Avec trois mandats locaux au compteur (deux au département du Finistère, un à la région Bretagne) il décroche la députation aux législatives de 2012.  

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En partant de la gauche : Jean-Yves Le Drian, Manuel Valls et Richard Ferrand, le 10 juillet 2015, sur l'île de Ouessant, en Bretagne. @AFP

Politiquement, Richard Ferrand n’aime pas les querelles de courant. Loyal, il a soutenu tous les patrons du parti sans dévier, quitte à zigzaguer idéologiquement. "Dans mon esprit, le numéro 1 du parti, c’était forcément le meilleur d’entre nous, celui qui devait être notre candidat naturel à la présidentielle. C’est pourquoi j’ai soutenu Emmanuelli en 1995, pétitionné pour Hollande en 2007, et rallié Aubry en 2012", expliquait l’intéressé dans Libération.

Fruit d’un rendez-vous manqué

Dans ses portraits consacrés par la presse, c’est une histoire qu’il aime à rappeler. Comme si son aventure avec En Marche! était d’abord le fait du hasard plutôt que celui d’un calcul mûrement pesé – l’un n’excluant pas l’autre. La rencontre qui allait changer sa vie est en effet le fruit d’un rendez-vous manqué... avec Arnaud Montebourg. Été 2014, le député finistérien s’inquiète du projet de loi concocté par Bercy sur la libéralisation des secteurs protégés, comme la santé. La veille de leur rencontre, Arnaud Montebourg envoie sa fameuse "cuvée de redressement" à François Hollande et disparaît du gouvernement. C’est donc à Emmanuel Macron qu’il ira plaider sa cause.

" Vous, vous êtes franc au moins ! Ça tombe bien, moi aussi. "

Une rencontre sans tortiller, comme il le rapporte au Monde. "Déjà, vous débarquez avec une image de techno et d’ancien banquier ! Alors si en plus vous soutenez un rapport qui préconise la suppression de services au public, ça ne va pas le faire… OK pour réformer, mais il ne faut pas s’y prendre n’importe comment !" Réponse du tac au tac du ministre fraîchement nommé : "Vous, vous êtes franc au moins ! Ça tombe bien, moi aussi." Dans la foulée, il lui confie un rapport sur les professions réglementées.

Désigné rapporteur général de la loi Macron, les deux hommes se mettent à se côtoyer quotidiennement. Il y a de quoi : 300 articles, 9.000 amendements dont 2.000 retenus, 111 heures d’examen, des semaines d’échanges… Et un 49.3 imposé par Manuel Valls à l’arrivée. "On était des marathoniens à qui on faisait un croche-pied à un mètre de l’arrivée", déplorait alors Richard Ferrand dans Libé. Un coup de force qui leur laissera tous deux la dent dure contre l’ex-Premier ministre. De cet épisode, Richard Ferrand garde néanmoins une prise de conscience. "Cette loi a mis en lumière les corporatismes économiques et administratifs et aussi les blocages politiques. De nombreux élus de droite me disaient qu’ils approuvaient la loi, mais qu’ils devaient voter contre. J’ai vu de près la malhonnêteté intellectuelle, c’était déprimant", expliquait-il au Monde. Un ratage fondateur qui le lance dans le projet macronien de dépasser les clivages.

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Emmanuel Macron, alors ministre de l'Economie, avec le député finistérien sur ces terres, à Pleyben. @AFP

Démineur

Gravissant les échelons vitesse grand V, il devient secrétaire général d'En Marche! en octobre 2016. Une métamorphose qui agace certains camarades de la rue Solférino. A commencer par son ancien mentor, le socialiste Kofi Yamgnane, qui le désavoue publiquement. "Il a trahi idéologiquement le PS. On ne peut pas être dans l'aile gauche du PS, flirter avec les frondeurs et partir dans un mouvement qui est plus à droite qu'à gauche !", fustige-t-il dans Ouest-France. Qu’importe, Richard Ferrand s’est trouvé un nouveau guide et est bien décidé à partir à la conquête du pouvoir. Dans un mouvement où tout est à construire, il devient rapidement un pilier de galaxie Macron.

Tout passe entre ses mains : pilotage des comités locaux, formation de groupe d’experts, débusquage de référents dans les départements, chauffeur de salle dans les meetings d’En Marche!.. Et accessoirement démineur. Comme après la sortie en direct de Jacques Attali, pourtant à l’origine de l’ascension politique d’Emmanuel Macron, le 26 avril. Avec une légèreté déconcertante, l’économiste qualifie le sort des salariés de Whirlpool "d’anecdote". Au même moment, Emmanuel Macron se rend dans sa ville natale d’Amiens pour rencontrer l’intersyndicale et faire valoir sa méthode. Forcément, la sortie d’Attali fait tache d'huile. Réaction illico du secrétaire général dans un tweet rageur : "Qu’il se taise !"

Un déminage loin d’être isolé. Alors qu’Emmanuel Macron attire les caciques politico-médiatiques, Ferrand ferraille pour ne pas faire passer son candidat pour une recyclerie. Laurence Parisot viserait Matignon ? L’ancienne patronne du MEDEF a beau démentir l’information dans la foulée, le secrétaire général dénonce son carriérisme. Alain Minc déclare sa flamme à Emmanuel Macron ? Le chantre de la "mondialisation heureuse " est "snipé" en 140 caractères : "Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent, disait Edgar Faure. Transmis à Alain Minc, qui a naguère prédit et voulu notre échec."

Un an après le lancement d’En Marche!, l’ascension réalisée par le tandem est, elle, vertigineuse. En haute montagne, on arrive pas au sommet par hasard, estime au Monde Bernard Poignant, ex-conseiller du président sortant Hollande. "Son destin est très particulier. Dans la vie politique, il ne faut jamais courir après l’événement, mais savoir le saisir quand il passe. C’est ce qu’a fait Richard."

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@AFP