Réforme constitutionnelle : la prudente contre-attaque de la droite

Gérard Larcher s'oppose à la réforme constitutionnelle du gouvernement...mais ne peut s'engager dans un bras de fer.
Gérard Larcher s'oppose à la réforme constitutionnelle du gouvernement...mais ne peut s'engager dans un bras de fer. © JEAN-SEBASTIEN EVRARD / AFP
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Pour la droite, emmenée par le président du Sénat, la réforme constitutionnelle voulue par Emmanuel Macron est un casus belli. Mais elle est obligée de s'opposer subtilement pour ne pas risquer le référendum.

Inutile, le Sénat ? C'est ce qui lui est souvent reproché, à tort ou à raison. Mais la chambre haute garde au moins une compétence : celle de faire capoter une réforme constitutionnelle, qui nécessite l'approbation des 3/5e du Parlement réuni en Congrès. Et c'est bien de ce fameux "pouvoir de nuisance" que Gérard Larcher compte user, alors qu'Emmanuel Macron s'apprête à dévoiler les grandes lignes de ce qu'il souhaiterait changer dans la Constitution.

Car entre le président du Sénat et le chef de l'Etat, les désaccords sur cette réforme sont nombreux, et connus. Gérard Larcher a les moyens d'entraîner la droite derrière lui pour s'opposer vigoureusement à toute réforme constitutionnelle. Mais le numéro deux de la République sait aussi qu'il va lui falloir être prudent, car Emmanuel Macron peut toujours choisir, en dernier recours, la voie du référendum.

" Ni la réduction du nombre de parlementaires, ni l'interdiction du cumul dans le temps, ne résoudront la crise politique. "

Désaccords. Cette semaine, Gérard Larcher a (re)mis sur la table ses exigences. Et, surtout, ses lignes rouges. "Ni la réduction du nombre de parlementaires, ni l'interdiction du cumul dans le temps, ne résoudront la crise politique", a-t-il déclaré mercredi, lors de ses vœux devant l'Association des journalistes parlementaires (AJP). Voilà le premier avertissement, alors qu'Emmanuel Macron a fait de la baisse du nombre d'élus et de la limite à trois mandats successifs une promesse de campagne. L'introduction d'une dose de proportionnelle pour les élections législatives, également évoquée par le président, ne rencontre pas non plus une franche approbation de Gérard Larcher. "Elle ne peut être que minoritaire. 25 à 30%, c'est trop", a-t-il tranché.

Fédérer la droite. Ce faisant, Gérard Larcher adopte une position classique et fédératrice à droite : il se pose en défenseur du "lien du parlementaire avec le territoire", exalte l'importance d'élus ancrés dans une circonscription de taille raisonnable. De quoi mobiliser sa famille politique, traditionnellement opposée au non-cumul des mandats et à la baisse du nombre de parlementaires, même si elle a dû lâcher du lest sur le premier point face à la pression de l'opinion publique ?

Prudence. En réalité, le président du Sénat ne fonce pas tête baissée dans une opposition frontale avec la majorité. "J'ai plutôt envie de faire fructifier le dialogue", a-t-il expliqué. Avant de distiller des propositions alternatives, comme un temps de parole encadré dans l'hémicycle ou un délai limite pour le dépôt des amendements du gouvernement, ce qui permettrait d'accélérer la procédure parlementaire. Comme pour répondre, non sans ironie, aux menaces de divisions du nombre de parlementaires, Gérard Larcher a aussi préconisé de limiter le nombre de membres du gouvernement à 20.

" L'objectif reste de trouver une entente avec le Sénat. Mais si c'est pour revenir sur ses promesses, Macron ira au référendum. "

La possibilité du référendum. Si le cacique LR prend des gants, c'est qu'il sait qu'en dépit de sa position avantageuse sur la réforme constitutionnelle, qu'il peut bloquer, le gouvernement peut toujours s'en sortir en passant plutôt par la procédure du référendum. D'ordinaire, les exécutifs successifs se méfient de ce mode de scrutin, qui peut rapidement tourner à la sanction. Mais en l'occurrence, Emmanuel Macron pourrait bien opter pour cette option. "Bien sûr, l'objectif numéro un reste de trouver une entente avec le Sénat", souligne un député LREM proche de l'exécutif auprès d'Europe1.fr. "Mais à quel prix ? Si c'est pour revenir sur les promesses phares, Emmanuel Macron ira au référendum." Qu'importe la possibilité que les urnes servent plus à exprimer un mécontentement général qu'à répondre à la question posée. "Connaissant le personnage, il sait prendre des risques", souffle cet élu.

Antiparlementarisme en vogue. Le risque est d'ailleurs considérablement amoindri par le fait que la baisse du nombre de parlementaires, ou encore le non-cumul des mandats dans le temps, sont des mesures approuvées par une majorité de Français. "Le vent va dans le sens de l'antiparlementarisme", admet le même député LREM avec pragmatisme. Un sondage OpinionWay pour Les Echos réalisé en juin dernier montrait que 90% des électeurs souhaitent une limitation des mandats successifs pour les députés. Selon une autre étude réalisée par Viavoice début janvier, 72% des Français sont pour diminuer le nombre de parlementaires. Une "vague d'antiparlementarisme ou de populisme" à laquelle Gérard Larcher souhaiterait que le gouvernement ne "cède" pas.

Négociations et compromis. Entre le président du Sénat et la majorité, le "combat" pourrait donc être rude, anticipe l'élu LREM, qui précise "ne pas avoir peur d'y aller face à Larcher" pour que la réforme constitutionnelle soit adoptée avant la fin 2018, que ce soit par référendum ou via le Parlement réuni en Congrès. En fait de combat, il pourrait bien y avoir des négociations. Sur le sujet de la proportionnelle par exemple, un accord pourrait bien être trouvé. Au sein même des rangs de LREM, on estime qu'un taux de "25% n'est pas tenable". "Il faut une dose suffisamment fine pour corriger le tir sans tout déséquilibrer", explique un député de la majorité. "Je mets ma main à couper que ce ne sera pas 20%. On sera plus entre 10 et 13%."

Le non-cumul des mandats dans le temps aussi, peut être sujet à des ajustements. S'agit-il simplement de mandats nationaux ? Dans ce cas, il serait possible de redevenir maire après avoir été parlementaire par exemple. Un compromis qui, peut-être, pourra convaincre la droite.