"Rassemblement national" : un nouveau nom, plusieurs questions

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Le FN pourra-t-il s'appeler "Rassemblement national", comme l'a proposé Marine Le Pen dimanche ? Sur le plan juridique, plusieurs interrogations persistent.

Pas encore adopté, le nouveau nom du Front national est déjà contesté. Dimanche, en clôture du Congrès de sa formation à Lille, Marine Le Pen a proposé aux militants de rebaptiser son parti "Rassemblement national". Problème : un certain Igor Kurek dit avoir déposé ce nom il y a plusieurs années. Cet ancien proche de Charles Pasqua est même prêt à défier la dirigeante frontiste en justice. "Le RN est très étonné de l'amateurisme de Marine Le Pen qui est aussi celui du FN. (…) Eh bien oui 'chère' Marine, le RN existe déjà et vous ne pouviez nier son existence", a lancé via un communiqué le président du "Rassemblement national", un parti politique "de droite gaulliste et républicaine", dont le logo est par ailleurs une flamme tricolore, symbole historique du FN, sur une croix de Lorraine.

Qui est propriétaire de la marque ?

Officiellement, la marque "Rassemblement national" existe déjà. Elle a été déposée à l'Inpi, l'Institut de la propriété intellectuelle, fin décembre 2013, par un certain Frédérick Bigrat. Ce militaire à la retraite, qui se présente sur Twitter comme "conservateur républicain et catholique", est membre de L'Avant-Garde, un réseau collaboratif d'action politique, qui compte aussi dans ses rangs les ex-élus UMP Charles Beigbeder et Christian Vanneste. 

Surtout, côté dépôt de noms politiques, Frédérick Bigrat n'en est pas à son coup d'essai. Il a aussi déposé, en février 2014, le nom et le logo - version 1991 - de l'ancien Rassemblement pour la République (RPR) chiraquien.

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© Capture d'écran du site de l'Inpi

 

Reste une question en suspens : est-il pour autant le propriétaire du nom "Rassemblement national" ? Pas si sûr, à en croire Igor Kurek, qui en revendique la paternité. Selon lui, Frédérick Bigrat n'en serait que le mandataire, autrement dit celui qui agit au nom du propriétaire. 

Le nom "Rassemblement national" a-t-il déjà été utilisé ?

En effet, le nom a non seulement été déposé, mais aussi utilisé. Notamment aux municipales de 2014, à Vitrolles. Le candidat Jean-Paul Del Grande avait même été soutenu par plusieurs dissidents locaux du FN, tels qu'Adrien Rondini ou Philippe Lacombe. Et l'année suivante, aux départementales à Nice. Et c'est un point important, car une marque déposée doit être utilisée dans les cinq ans. Dans le cas contraire, son propriétaire peut être déchu de ses droits. C'est précisément pour cette raison que le MoDem utilise encore régulièrement le logo du défunt UDF sur les professions de foi de ses candidats, par exemple.

Mais le nom "Rassemblement national" a également été utilisé par… Jean-Marie Le Pen lui-même. C'était même le nom du groupe parlementaire de 35 députés qu'il présidait en 1986. Marine Le Pen a "manqué d'imagination semble-t-il", a ainsi commenté le président d'honneur déchu du FN. Tout en se gardant de rappeler que ce même nom avait déjà été choisi par l’avocat d’extrême droite Jean-Louis Tixier-Vignancourt, candidat à l'élection présidentielle de 1965. À l'époque, son directeur de campagne s'appelait… Jean-Marie Le Pen.

Qui est en mesure d'en réclamer la primeur ?

Appelé à réagir au communiqué d'Igor Kurek, Gilbert Collard, invité de la matinale d'Europe 1, a d'abord assuré d'un ton franc et engagé : "Connerie, connerie. On a l'antériorité de dépôt". Puis le membre du bureau politique du FN d'ajouter, plus prudent : "enfin, je l'espère". Car Igor Kurek, joint quelques minutes plus tard par Europe 1, persiste et signe : "Il peut dire ce dire ce qu'il veut, Gilbert. La loi des marques, c'est la loi des marques. Ils n'ont pas d'antériorité sur le nom 'Rassemblement national'", a-t-il déclaré, se disant prêt à porter l'affaire "en justice".

Difficile de vérifier si le FN avait en effet déposé la marque en 1986, comme le prétend le parti auprès de RTL. Reste que la demande de Frédérick Bigrat a bien été validée par l'Inpi, contrairement à celle déposée en 2009 par Bruno Bilde, aujourd'hui député FN du Pas-de-Calais et conseiller spécial de Marine Le Pen. En 1998, Marc Neguiral, proche de Bruno Mégret, avait lui aussi déposé le nom "Rassemblement national", mais sa requête a depuis expiré.

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© Capture d'écran du site de l'Inpi

Quelle est la marge de manœuvre du FN ?

Auprès de RTL, la présidente actuelle du Front national a réaffirmé l'antériorité du dépôt effectué par le FN, annonçant par ailleurs sa volonté de poursuivre Igor Kurek en justice l’autre pour "utilisation frauduleuse" de la flamme.

"Elle fait comme ils font d'habitude : 'Salut, c'est nous. On vient, on s'installe, c'est notre boulangerie et on prend tout'", s'est encore agacé Igor Kurek sur Europe 1. "Ça ne va pas se passer comme ça. On entrera en justice, il n'y a pas de problème", a-t-il lâché, avant d'ajouter, dans un discours teinté d'ironie : "Maintenant, comment va-t-elle se débrouiller avec ses militants pour leur expliquer que ce n'est pas possible ? S'ils avaient eu la politesse de m'appeler, je leur aurais dit gentiment de s'appeler autrement."

Reste que le FN a encore plusieurs possibilités de s'en sortir. D'abord en rachetant la marque auprès de son propriétaire. C'est ce qu'a fait Marine Le Pen le 22 février dernier, si on en croit le Front national. Selon L'Incorrect, un magazine entre droite et extrême droite, étroitement lié au réseau de L'Avant-garde, dont Frédérick Bigrat est membre, ce dernier aurait aurait ainsi "cédé l’usage" de la marque à l'un des avocats du FN, Maître Frédéric-Pierre Vos, il y a quelques semaines.

Si ce n'est pas le cas, un autre choix s'offre toutefois à Marine Le Pen. Celui, tout simplement, d'opter pour un nouveau nom bien similaire, à savoir "Alliance pour un rassemblement national". À l'Inpi, ce nom a été déposé en 2012 par… Louis Aliot, le numéro deux du FN.  Cela ne devrait donc pas poser de problème, d'autant que, statutairement, le Front national lui-même s'est longtemps dénommé "Front national pour l'unité française".

Quoi qu'il en soit, le parti n'a pas encore été officiellement rebaptisé. Son nouveau nom sera en effet soumis à un vote par courrier des militants. Le résultat, lui, ne sera pas connu avant au moins six semaines. 

Un choix "troublant"

Légal ou pas, le nom "Rassemblement national" est en outre sujet à polémique, car jugé très proche du "Rassemblement national populaire". Fondé en 1941, ce parti avait pour principal projet de "protéger la race" et de collaborer avec l'Allemagne nazie. "Une référence voulue ?", s'est même interrogé sur Twitter le député de la France insoumise Alexis Corbière, jugeant ce choix "troublant".