Qui, de Macron ou de Valls, a le plus le cœur à gauche ?

Emmanuel Macron et Manuel Valls ont de nombreux sujets de discorde.
Emmanuel Macron et Manuel Valls ont de nombreux sujets de discorde. © AFP
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Les deux hommes ont un positionnement économique social-libéral, avec néanmoins quelques différences notables. Sur le plan sociétal, en revanche, leurs discours ne sont pas du tout les mêmes.

Les voilà tous les deux candidats à l'élection présidentielle. Le futur ex-Premier ministre passera par une primaire. L'ancien ministre de l'Économie, se lancera directement. Et ce n'est pas là le seul point qui les oppose. Car si les deux hommes incarnent les tenants de l'aile droite de la gauche, ils n'ont pourtant pas le même discours. Des différences de degré en économie, qui peuvent devenir des divergences de fond sur certains sujets sociétaux, comme la laïcité.

  • Les 35 heures : (léger) avantage Valls

Les critiques qu'Emmanuel Macron formulent régulièrement à l'égard des 35 heures ne sont pas un secret. "La gauche a cru que la France pouvait aller mieux en travaillant moins, c'était des fausses idées", déclarait-il en août 2015, lors du Congrès du Medef. Manuel Valls s'empressait alors de le recadrer : "il n'y aura pas de remise en cause du temps légal de travail et des 35 heures."

A priori, donc, Manuel Valls se positionne plus à gauche que l'ancien ministre de l'Économie sur ce sujet. Mais les choses sont légèrement plus complexes. D'abord, parce que Manuel Valls a changé de discours au fil des ans et de sa prise de responsabilités. En 2011, lorsqu'il était candidat à la primaire socialiste, l'ex-député-maire d'Évry voulait en effet "déverrouiller" la durée légale du travail pour "permettre aux Français, ceux qui ont la chance d'avoir un emploi, de travailler davantage sans avoir recours forcément aux heures supplémentaires, qui ont beaucoup coûté à l'État". Dans son livre Pouvoir (éd. Stock), paru en 2010, il s'en prenait déjà aux 35 heures, estimant qu'elles avaient "endommagé la compétitivité" de l'économie française. Des propos qui ont totalement disparu une fois qu'il est entré dans le gouvernement de François Hollande.

De plus, Emmanuel Macron, dans une récente interview à L'Obs, a précisé qu'il souhaitait moduler le temps de travail en fonction de l'âge. "On peut ainsi imaginer que les branches professionnelles négocient une possibilité, pour les salariés qui le souhaiteraient, de travailler moins à partir de 50 ou 55 ans : 30 heures, 32 heures, pourquoi pas ?", a-t-il détaillé. "En revanche, quand on est jeune, 35 heures, ce n'est pas long." Ce temps de travail "sur-mesure" est une proposition nouvelle, assez inclassable sur le spectre politique.

  • Impôt de solidarité sur la fortune : ni l'un, ni l'autre

Comme les 35 heures, l'impôt de solidarité sur la fortune semble opposer Manuel Valls et Emmanuel Macron à première vue. Ce dernier a plusieurs fois exprimé ses doutes quant à la pertinence de l'ISF. Manuel Valls, lui, a déjà recadré Emmanuel Macron, estimant que "supprimer l'impôt sur la fortune serait une faute".

En réalité, les deux hommes ont des positions similaires. En tant que Premier ministre, Manuel Valls avait concédé qu'on "pouvait toujours améliorer [l'ISF], [le] rendre plus efficace d'un point de vue économique". Pendant son passage à Bercy, Emmanuel Macron penchait, lui aussi, pour une réforme plus qu'une suppression de l'ISF, afin de développer "l'investissement productif".

Et il est fort à parier que ce penchant pour une réforme plus qu'une suppression soit, pour Manuel Valls comme pour Emmanuel Macron, une posture plus qu'une conviction profonde. L'ancien ministre de l'Économie a ainsi reconnu que le "contexte politique et social" ne se prêtait pas à une disparition de l'ISF. "À mon avis, ça ne va pas plaire à tout le monde", confiait-il en juin dernier, comme si c'était bel et bien cela qui le retenait. Quant à Manuel Valls, il proposait "sans tabou de supprimer l'ISF, inutile car peu rentable", dans son livre programmatique, L'Energie du changement (éd. Cherche Midi) en septembre 2011. En résumé, les deux hommes ne tiennent pas beaucoup à l'ISF, une position marquée à droite.

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© FAROUK BATICHE / AFP

  • Nombre de fonctionnaires : avantage Valls

"La France a besoin d'un Etat, de services publics efficaces, de tous ses fonctionnaires." Le 21 novembre dernier, au lendemain du premier tour de la primaire de la droite qui avait vu François Fillon arriver largement en tête, Manuel Valls avait immédiatement attaqué le programme du nouveau champion de l'opposition. Et fustigeait, notamment, sa volonté de supprimer 500.000 postes de fonctionnaires.

Emmanuel Macron, lui aussi, s'oppose à François Fillon sur le sujet. "Je crois dans la réforme de l'État, mais cela ne consiste pas à fixer le nombre de fonctionnaires que vous allez supprimer", a-t-il déclaré dans le JDD. L'ancien ministre de l'Économie avait néanmoins, à plusieurs reprises, égratigné le statut des fonctionnaires. Il l'avait ainsi jugé "pas adéquat" en septembre 2015. "Je ne vois pas ce qui justifie que certains cadres de mon ministère bénéficient d'un emploi garanti à vie alors que le responsable de la cybersécurité d'une entreprise est contractuel en CDD."

  • Indemnités chômage : avantage Macron

Manuel Valls a changé de discours sur l'allocation chômage pendant le quinquennat. Début 2015, alors Premier ministre, il affirmait qu'une éventuelle dégressivité des indemnités n'était "pas aujourd'hui [son] sujet". Un an plus tard, il n'était plus si catégorique et encourageait les partenaires sociaux à s'intéresser à "tout ce qui incite mieux au retour à l'emploi", y compris "éventuellement regarder de près la question de la dégressivité". Des propos qui le rapprochent des positions de la droite.

Emmanuel Macron, lui, est opposé à la dégressivité des allocations chômage. En revanche, il a défendu dans son interview à L'Obs une extension des droits pour "ceux qui, aujourd'hui, ne sont pas couverts. En particulier ceux qui sont au régime de la micro-entreprise, ou les indépendants". Cette proposition est nouvelle, donc difficilement rattachable à un camp politique, mais le principe d'une politique d'assurance-chômage généreuse est clairement marqué à gauche.

  • Islam et laïcité : (léger) avantage Macron

Manuel Valls comme Emmanuel Macron estiment que l'islam a sa place en France. "L'islam est une part de notre culture", a ainsi assuré le premier en octobre dernier pendant l'inauguration d'un conseil local de la laïcité. "Des millions de musulmans [sont] des citoyens libres de leurs choix, jouant pleinement et loyalement le jeu de la République", a-t-il aussi écrit dans une tribune au JDD. Quant à Emmanuel Macron, il ne pense "pas une seconde" que la religion musulmane est "incompatible avec la République".

Néanmoins, sur la laïcité, les deux hommes ne sont pas en phase. Manuel Valls a une vision empreinte de militantisme laïc, qui le pousse par exemple à s'opposer au port du voile à l'université ou au burkini, comme beaucoup d'autres personnalités politiques…de droite. Emmanuel Macron, lui, défend la laïcité au nom de la liberté de chacun à vivre sa religion. Pour lui, Manuel Valls prône une "laïcité revancharde", interdire le burkini est "une formidable défaite de la laïcité", et il est impensable d'interdire le voile à l'université. L'ancien ministre de l'Économie se rapproche donc plus de la position majoritaire au Parti socialiste.

Reste que ces deux conceptions de la laïcité sont présentes à gauche, que ce soit chez les politiques ou chez les intellectuels. Mais la porosité du militantisme à la Manuel Valls avec la droite pousse à donner l'avantage à Emmanuel Macron.

DOMINIQUE FAGET / AFP valls macron

© DOMINIQUE FAGET / AFP

  • Accueil des réfugiés : avantage Macron

"Nous ne pouvons pas accueillir plus de réfugiés." En février 2016, les propos de Manuel Valls, en déplacement en Bavière, étaient on ne peut plus clairs. Le Premier ministre avait appelé l'Europe à "reprendre le contrôle de ses frontières et  [de] sa politique migratoire et d'asile", critiquant, en creux, la politique de la chancelière allemande.

Très isolée au sein des chefs d'État européens, Angela Merkel a néanmoins pu compter sur le soutien d'Emmanuel Macron. Partant du principe que les personnes arrivant de Syrie et d'Irak, notamment, sont bel et bien des réfugiés et pas des migrants économiques, l'ancien ministre de l'Économie a appelé à un accueil généreux. "Vous et moi, on ferait des milliers de kilomètres à pied pour fuir la violence politique ? Nos civilisations ont oublié ce que c'était, c'est pour cela que la chancelière Merkel a eu raison, sur le plan moral et politique." "Il faut que la France fasse sa part sur [son] premier devoir universel, celui des réfugiés", a-t-il complété. Sa position est la plus largement partagée à gauche, même s'il existe des voix dissonantes et des désaccords sur l'ampleur des efforts à fournir en matière d'accueil.

  • Terrorisme et État de droit : avantage Macron

Manuel Valls a fait de la fermeté face au terrorisme une priorité. Quitte à s'aventurer sur des terrains glissants, comme celui de la déchéance de nationalité ou de la prorogation de l'état d'urgence. Cette dernière mesure est régulièrement pointée du doigt, d'une part car elle est censée être utilisée dans un contexte exceptionnel mais n'a pas été levée depuis un an, en dépit d'une efficacité contestable, d'autre part car elle a pu, selon ses opposants, être dévoyée pour, par exemple, assigner à résidence des militants écologistes. Cependant, le Premier ministre reste attaché à l'État de droit. S'opposant à Nicolas Sarkozy, qui a pu dénoncer des "arguties juridiques" et a proposé des mesures sortant du cadre actuel, il avait déclaré dans le monde que cet État de droit était "une limite infranchissable".

Emmanuel Macron, lui aussi, défend l'État de droit. Mais il va plus loin que Manuel Valls. Celui qui avait confié avoir "un inconfort philosophique" avec la déchéance de nationalité assène aussi que l'état d'urgence ne peut plus durer. "Nous ne pouvons pas vivre en permanence dans un régime d'exception", écrit-il dans son livre Révolution (éd. XO). Un discours qui le positionne plus à gauche que son rival.

 

Si Emmanuel Macron a souvent adopté des positions très clivantes à gauche sur les thématiques économiques, force est de constater qu'elles rejoignent souvent celles de Manuel Valls. Qui lui, en revanche, s'est éloigné de la doxa socialiste en matière sociétale.