Projet de loi antiterroriste : le Sénat se rebiffe

© LIONEL BONAVENTURE / AFP
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En commission, le Sénat a remanié le texte, qui prévoit notamment d'inscrire dans le droit commun plusieurs dispositions de l'état d'urgence. L'exécutif a déposé des amendements pour revenir à la version initiale.

Controversé parmi les spécialistes du droit, le projet de loi "renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme" l'est aussi au sein de la classe politique. Si le gouvernement dispose à l'Assemblée nationale d'une large majorité qui lui assure des votes sans grand suspense, ce n'est pas le cas au Sénat. Et le Palais Bourbon, qui se penche sur le texte mardi et mercredi en séance, est bien décidé à ne pas le laisser passer sans l'infléchir.

Les sénateurs retoquent les "périmètres de protection". En commission, les sénateurs ont commencé leur travail de sape. Une trentaine d'amendements ont été adoptés, dont beaucoup visaient à restreindre ou encadrer plus strictement les dispositions prévues par le gouvernement. Par exemple, le texte initial prévoyait des "périmètres de protection" pour sécuriser des lieux potentiellement sous la menace d'actes terroristes et réglementer l'accès et la circulation des personnes. Cela avait déjà été mis en place pour certains festivals, mais aussi l'Euro ou le Tour de France. La commission des lois au Sénat a tenu à préciser que le risque terroriste devait être "actuel et sérieux", mais aussi apporté des garanties aux riverains ou aux personnes qui travailleraient dans ces périmètres de protection.

Plus de contrôle parlementaire. Un autre changement de taille à l'initiative des sénateurs concerne les "mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance" et les "visites et saisies" aux domiciles. La commission des lois du Sénat a estimé que ces dispositions étaient "inspirées de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence" et qu'elles "exigeaient [donc] un contrôle parlementaire renforcé". En conséquence, elle a limité dans le temps leur application. "Une évaluation annuelle nous renseignera sur l'utilité marginale" de ces mesures, a expliqué Philippe Bas, le président de la commission des lois. "S'il s'avère que ces mesures sont inutiles, le Parlement n'aura pas à les reconduire."

" Le Sénat est prêt à voter les mesures nécessaires à notre sécurité, à condition qu'elles soient respectueuses des libertés fondamentales. "

Enfin, les sénateurs ont, au fil du texte, instauré des garde-fous. Le gouvernement souhaitait pouvoir obliger certaines personnes soupçonnées de constituer une menace terroriste à donner leurs identifiants Internet ; les sénateurs ont supprimé cette disposition. L'exécutif tenait à ce que ces personnes aient l'obligation de "pointer" "au maximum une fois par jour" auprès des forces de l'ordre ; le Sénat a abaissé le plafond à "trois fois par semaine".  

"Protéger les libertés". Autrement dit, pas question pour les sénateurs de permettre à l'exécutif de transposer directement des dispositions de l'état d'urgence dans le droit commun. Dans un communiqué publié lundi, la commission des lois s'est posée en garante des libertés individuelles. L'objectif affiché du rapporteur du texte, Michel Mercier, est de "rechercher un meilleur équilibre entre la nécessité d'assurer la sécurité et l'ordre publics et celle de protéger les droits et libertés constitutionnellement garantis". "Le Sénat est prêt à voter les mesures nécessaires à notre sécurité, à condition qu'elles soient respectueuses des libertés fondamentales", a résumé Philippe Bas.

Le gouvernement riposte. Sans surprise, le gouvernement a peu goûté les changements apportés en commission par les sénateurs. Et a déposé dans la foulée une douzaine d'amendements pour rétablir peu ou prou son texte initial. Dans son discours liminaire, mercredi après-midi, le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, n'a pas ménagé ses efforts pour défendre son projet de loi d'origine. En appelant aux attentats de Nice, l'ancien maire de Lyon a vertement critiqué à peu près tous les choix de la commission des lois.

Michel Mercier lui a répondu en assurant qu'il cherchait à instaurer un "dialogue franc, loyal", destiné à "bâtir un vrai équilibre, valable pas seulement aujourd'hui mais dans la durée". "Vous nous avez dit que les Français voulaient vivre en sécurité, vous avez raison. Mais ils veulent vivre libre également", a-t-il rappelé. Les sénateurs ont bon espoir de parvenir à un compromis avant que le texte, qui est examiné en procédure accélérée, ne parte à l'Assemblée nationale.