Pourquoi Fillon peut "remercier" le mariage pour tous

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Loi Taubira, famille, religions... Les positions "cathos-compatibles" du député de Paris ont pesé lors du premier tour. Et au second ?

"J’ai décidé de continuer le combat (…). C’est un combat projet contre-projet qui s’engage". Déçu, mais pas abattu, Alain Juppé ne part pas vaincu. Durant cette semaine d'entre deux tours de l'élection du candidat de la droite et début centre, les équipes du maire de Bordeaux sont bien décidées à travailler leurs différences avec François Fillon, grand vainqueur (surprise) du premier tour et désormais favori du second. "On va aller au fond des choses en comparant les projets. Et il y a de vraies divergences", martelait Jean-Pierre Raffarin, soldat juppéiste, dimanche soir. Parmi ces divergences de "fond" : la position des deux candidats sur la loi Taubira. Au premier tour, cette différence a clairement fait pencher la balance en faveur de François Fillon. Mais Alain Juppé a encore une (petite) carte à jouer au second. Décryptage.

Ce qui différencie les deux candidats sur le sujet. Aucun des deux candidats ne compte abroger la loi ouvrant le mariage et l'adoption aux couples de personnes de même sexe. "Ce n’est pas réaliste, car on ne démariera pas des gens qui ont été mariés", avait plaidé François Fillon en février dernier. Le député de Paris, toutefois, entend bien la réécrire, contrairement à son concurrent qui ne souhaite pas y toucher. L'objectif de François Fillon : "réexaminer" les règles de filiation.

"Je sais que des couples homosexuels accueillent des enfants avec amour. Mais il ne me paraît pas légitime que la loi permette de considérer qu’un enfant est fils ou fille, de manière exclusive, de deux parents du même sexe", peut-on lire sur le programme du candidat. "Sa filiation au sens biologique du terme, à l’égard d’un père et d’une mère, ne doit donc plus pouvoir être effacée par une adoption plénière. C’est pourquoi je propose, évidemment sans caractère rétroactif, une réécriture de la loi Taubira sur ce point, en concertation avec toutes les associations concernées", écrit encore François Fillon sur son site. Et de poursuivre : "La règle serait ainsi posée que la filiation ne peut être établie de manière exclusive qu’à l’égard de deux parents de sexes différents. En revanche, les parents de même sexe pourront toujours recourir aux adoptions simples (l'enfant est adopté mais des liens juridiques avec les parents biologiques subsistent) qui, selon l’appréciation du juge, peuvent correspondre à l’intérêt de l’enfant".

François Fillon n'a cessé de cajoler la droite catholique... Cette prise de position a valu au Sarthois le ralliement de Sens commun, mouvement politique créé au lendemain de la "Manif pour tous". Sens commun a rejoint François Fillon en août dernier, au grand dam de Jean Frédéric Poisson, membre du Mouvement démocrate-chrétien et pourtant partisan d'une abrogation pure et simple de la loi Taubira. Selon un proche de Sens commun cité par La Vie : "La présence de l’ancien Premier ministre au deuxième tour de cette primaire valide l’intuition de certains catholiques de droite mobilisés depuis les grandes manifestations contre la loi Taubira : il faut cesser d’attendre le candidat idéal et travailler avec celui qui peut gagner et dont ils partagent certaines options idéologiques. En somme, il faut désormais 'voter utile'".

Mais il n'y a pas que sa position sur la loi Taubira qui explique le ralliement d'une partie des catholiques derrière la bannière Fillon. Au-delà des questions de filiation, le député de Paris a su se positionner sur tous les thèmes chers aux catholiques : durcissement des sanctions contre la GPA, rétablissement de l’universalité des allocations familiales, engagement constant en faveur des Chrétiens d'Orient, défense de la liberté religieuse (tout en étant contre le burkini) mais aussi promesse d'un plan de lutte contre la pauvreté… Ses prises de position "cathos-compatibles" sont nombreuses.  

Comme l'a montré le mouvement contre la loi Taubira en 2013, les catholiques français, au travers de réseaux puissants (les associations familiales catholiques, par exemple), peuvent rapidement mobiliser des centaines de milliers de personnes en faveur d'une même cause. Et ça, François Fillon l'a compris très tôt. Le 24 octobre dernier, il écrivait ainsi une "lettre aux évêques", dans lequel il rappelait sa propre foi catholique et l'engagement de ses parents dans le réseau Emmaüs. Deux semaines plus tard, il envoyait un courrier détaillant son programme social aux associations caritatives.  

... Et cela a porté ses fruits. Et la réussite de ce positionnement peut se mesurer dans les urnes. François Fillon est arrivé en tête dans tous les bastions catholiques, à commencer par la Mayenne, la Vendée et le Maine-et-Loire, les trois départements dans lesquels il a fait son meilleur score après la Sarthe, son fief historique.

"Il y a les racines catholiques de la France d'un côté, le soutien contre le mariage gay, et ce n'est pas rien, ça représentait peut-être quelques centaines de milliers de voix qui se sont portées sur lui. C'est un catholique traditionnel, de la France rurale. Il ne reviendra pas sur le mariage pour tous mais il a donné cette image", résume pour Europe 1 l'éditorialiste Gérard Carreyrou. "C’était une bonne stratégie car dans nos études, on voit que les catholiques pratiquants sont plus civiques que la moyenne. C’est une minorité active et déterminée. De surcroît, cela correspond à ses convictions", décrypte pour La Vie Jérôme Fourquet, de l’Ifop.

"Les sympathisants de La Manif Pour Tous sont au rendez-vous et montrent qu’ils représentent un poids électoral incontournable. La famille est bien au cœur de la campagne comme elle le sera lors de la présidentielle et des législatives [...] Nous avions déjà fait savoir que, sur le terrain, nous observons depuis plusieurs mois  un vif intérêt pour la primaire", commente également Ludovine de La Rochère, présidente de la "Manif pour tous", dans un communiqué. "Nous saluons avec joie la qualification de François Fillon au second tour de la primaire, illustration de sa droiture, cohérence et dignité", salue même carrément Sens commun sur Twitter. 

Alain Juppé peut-il rivaliser sur ce terrain ? Alain Juppé, pour sa part, avait bien essayé d'envoyer une "lettre aux catholiques" trois jours avant le scrutin, cela n'a pas suffi face à un concurrent qui avait labouré le terrain depuis des années. Aujourd'hui, les équipes du maire de Bordeaux vont devoir poursuivre deux objectifs. D'une part, convaincre les catholiques que François Fillon n'est pas forcément le choix le plus naturel. "Le silence de Fillon sur Alep, ce n’est pas la charité chrétienne !", s’agace ainsi un "proche" d'Alain Juppé dans Le Monde. Mais aussi, et surtout, tenter d'attirer les électeurs les plus libéraux sur le plan sociétal, à commencer par les partisans de la loi Taubira. "A-t-on envie de fracturer de nouveau la société sur des sujets comme le mariage pour tous ?", demande, ainsi, Maël de Calan, conseiller du maire de Bordeaux, dans le quotidien du soir.

Reste une question : ce clivage question aura-t-il du poids dans l'entre-deux tours ? Potentiellement, oui. A en croire un sondage Ifop publié en septembre dernier, Alain Juppé aurait raison de mettre en avant les fractures qui divisent les deux hommes sur ces sujets, et notamment sur la loi Taubira. En effet, selon ce sondage, 65% des Français et même 53% des électeurs proches du parti Les Républicains disent "souhaiter que les candidats à la présidentielle soutiennent certaines mesures en faveur des droits des coupes homosexuels et des familles homoparentales". Or, d'après ce même sondage, 53% des Français ignorent les positions de François Fillon sur les droits des homosexuels. A en croire l'étude, le maire de Bordeaux aurait donc raison d'insister sur ce sujet. Mais cela reste un sondage. Et l'on sait, désormais, qu'ils peuvent réserver de nombreuses surprises…