Moralisation : la lutte contre les conflits d'intérêts, encore en chantier dans une Assemblée renouvelée

L'opposition a ainsi mené l'offensive pour limiter le "pantouflage" (passage du public au privé), un "trou noir juridique" pour LR.
L'opposition a ainsi mené l'offensive pour limiter le "pantouflage" (passage du public au privé), un "trou noir juridique" pour LR. © BERTRAND GUAY / AFP
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avec AFP , modifié à
Dès mardi, les parlementaires ont voté la création, par l'Assemblée comme le Sénat, d'un "registre public" des déports, c'est-à-dire des cas où un parlementaire s'estimant en situation de conflit d'intérêts s'est mis en retrait.

Cumul d'un mandat et d'une activité de conseil, intervention des lobbies : la réduction des conflits d'intérêts pour les parlementaires est un enjeu clé des projets de moralisation de la vie politique, et hautement sensible dans une Assemblée où nombre d'élus viennent de la société civile.

Des décisions "à l'abri des conflits d'intérêts". L'ex-garde des Sceaux François Bayrou (MoDem), qui a préparé ces textes de loi de moralisation, voulait mettre les décisions publiques "à l'abri des conflits d'intérêts". L'exécutif n'est pas parti d'une feuille blanche : le cumul de certaines fonctions avec le mandat parlementaire était déjà prohibé (fonctionnaires, direction d'un établissement financier, immobilier...) et les déclarations d'intérêts et d'activités étaient, depuis 2014, publiques. Environ 10% des députés et sénateurs étaient cette année-là rémunérés dans le privé, pour plus de 100.000 euros annuels pour une vingtaine d'entre eux.

Nouvelles dispositions à venir. Cette proportion a augmenté avec l'arrivée massive de députés REM issus de la société civile, dont une quarantaine de chefs d'entreprise et une centaine exerçant une profession libérale (avocat, médecin...). Pour tenir compte des censures par le Conseil constitutionnel des interdictions générales, les textes prévoient que les parlementaires ne pourront pas acquérir une société de conseil, ni commencer une fonction de conseil en cours de mandat, mais pourront poursuivre une telle activité si elle a débuté plus d'un an avant leur entrée en fonction. Ces dispositions seront examinées jeudi ou vendredi par les députés.

Une "usine à gaz". Dès mardi, ils ont voté la création, par l'Assemblée comme le Sénat, d'un "registre public" des déports, c'est-à-dire des cas où un parlementaire s'estimant en situation de conflit d'intérêts s'est mis en retrait. Les LR ont critiqué une "usine à gaz". Dans la soirée, l'Assemblée a aussi interdit aux lobbies de rémunérer des collaborateurs parlementaires, via l'adoption surprise d'un amendement socialiste. Le Sénat avait déjà ajouté l'obligation pour les candidats à l'Élysée d'une déclaration d'intérêts et d'activités. Et en commission, les députés avaient prohibé pour les parlementaires la fonction de lobbyiste pour le compte de certaines sociétés.

Les propositions foisonnent. Si gouvernement et députés REM sont plutôt dans l'idée de s'en tenir aux limites actuelles, les propositions foisonnent dans d'autres groupes. La socialiste Delphine Batho veut a minima l'interdiction absolue de l'activité de conseil, les Insoumis l'arrêt de toute activité professionnelle pour les parlementaires. Certains suggèrent, à défaut, un plafonnement des revenus annexes, comme aux États-Unis. A gauche comme à droite, des députés ont tenté mardi soir, en vain, de ne pas restreindre les mesures anti-conflits d'intérêts aux parlementaires, en élargissant certaines au gouvernement, voire à la haute administration.

"Un trou noir juridique". L'opposition a ainsi mené l'offensive pour limiter le "pantouflage" (passage du public au privé), un "trou noir juridique" pour LR, du fait d'un "blocage depuis des années en raison des intérêts puissants" en jeu selon les socialistes. Communistes et Insoumis ont critiqué un "refus de toucher à la finance, à la manière dont elle interfère dans la sphère publique". Les amendements sont "sans lien" avec le projet gouvernemental ou revoient des règles récentes pour les fonctionnaires, a opposé la ministre de la Justice Nicole Belloubet. Et Bruno Questel (REM) a regretté une "forme de surenchère" des autres groupes politiques.