Ménard contre le FN : des divergences avant tout stratégiques

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Le week-end dernier à Béziers, la droite extrême a affiché au grand jour ses divisions. Mais la rupture est plus stratégique qu’idéologique. 

Pendant trois jours à Béziers, Robert Ménard a acté son divorce d’avec le Front national. Le maire de la cité héraultaise a lancé son propre mouvement, Oz ta droite, ses propres propositions pour 2017 et lancé quelques piques au parti qui l’a pourtant soutenu aux dernières élections municipales, en 2014. Suffisamment pour que Marion Maréchal-Le Pen quitte - théâtralement - le rendez-vous, histoire de marquer, du côté du FN aussi, la rupture. Pourtant, si les divergences idéologiques existent, c’est d’abord par stratégie que les deux alliés d’hier se déchirent aujourd’hui.

  • Cas de divorce

Une chose est sûre, les échanges sont allés assez loin dans la violence. Peut-être même trop pour imaginer une réconciliation à l’avenir. Si Marine Le Pen, fidèle à sa nouvelle stratégie de discrétion, s’est bien gardée de tout commentaire, son lieutenant le plus proche, Florian Philippot, est monté au front. Et sur Twitter, le dialogue a été pour le moins tendu.

D’autres figures du FN n’ont pas manqué de rappeler au maire de Béziers que c’est à leur parti qu’il doit sa place. Là encore, le principal intéressé a répondu.

Des divergences idéologiques pas nouvelles

Certes, il y a des différences de fond entre la ligne officielle du Front national insufflé par Florian Philippot et celle défendue à Béziers Par Robert Ménard. "Philippot et Ménard sont deux ex-chevènementistes qui se battent. L’un reste fidèle au colbertisme national de Chevènement alors que l’autre devient de plus en plus libéral", analysait Daniel Cohn-Bendit lundi sur Europe 1.


Après quoi court Robert Ménard ?par Europe1fr

Surtout, les divergences idéologiques ont toujours été intrinsèques au Front national. "Certes, Robert Ménard exprime des différences par rapport à la ligne officielle du parti, mais à la création du FN, il y avait beaucoup de différences, et beaucoup plus qu’actuellement", rappelle Erwan Lecoeur, spécialiste de l’extrême droite. "Il y avait des néo-nazis purs et durs, des nostalgiques du maréchal Pétain, des monarchistes, des socio-révolutionnaires. Il y avait côte à côte des catholiques traditionnalistes, et des néo-païens, qui estiment que c’est Jésus Christ qui a précipité la décadence de l’Europe. Beaucoup de différences de fond apparaissaient, beaucoup plus que celles entre Ménard et Philippot", estime le politologue.

"En gros, ils se retrouvent sur l’essentiel : se situer à la droite de la droite, rejeter le système traditionnel, promouvoir une certaine idée de l’identité de la France",  poursuit-il. "Leurs divergences ne sont pas feintes, mais vu d’un sympathisant socialiste par exemple, entre Ménard et Philippot, il n’y a pas une grande différence."

  • La remise en cause du chef

La violence des échanges s’explique donc par un autre facteur, beaucoup plus important à l’extrême droite. "Au Front national, quand on ose contester le chef, c’est insupportable. La virulence des réactions a pour objet de lui rappeler la règle de base de l’extrême droite : le FN est le parti ordonnateur de l’extrême droite. Hors du FN, point de salut", explique Erwan Lecoeur. "A l’extrême droite, on s’entretue pour des idées. Parfois au sens propre du terme. On ne rigole pas avec la différence. Mais quand il y a une cheffe capable de tenir ses troupes, alors les différences s’effacent, parce que la victoire devient possible."

La réaction de Marion Maréchal-Le Pen après son départ théâtral des Journées de Béziers vont dans ce sens, alors qu’idéologiquement, la nièce de Marine Le Pen est proche des idées très droitières d’un Robert Ménard. "Le FN est incontournable, et c’est une erreur historique de ne pas saisir l’opportunité de mettre notre parti aux affaires. C’est un peu comme si on voulait de nos idées, mais pas de nos gueules", s’est agacée la députée du Vaucluse. "Manifestement, il y a eu un petit quiproquo : Robert Ménard et moi n’avons pas la même stratégie", a-t-elle reconnu. Comme un aveu que les idées n’avaient pas grand-chose à voir dans cette brouille.

  • Un pari sur l’avenir

Alors qu’espère donc Robert Ménard en se démarquant ainsi du Front national et en se mettant le parti à dos ? "Pour l’heure, Robert Ménard n’est qu’un petit morceau d’un camaïeu, d’un puzzle qui est la droite extrême. Il n’a pas l’ampleur d’un Poujade ou d’un Le Pen. S’il n’était pas maire de Béziers, on n’en parlerait pas autant. Mais il joue une carte : se particulariser pour exister", analyse Erwan Lecoeur. "Et s’il a envie d’exister, c’est qu’il pense qu’il a un destin."

Robert Ménard pense donc à l’avenir, et à l’après-2017 exactement. A ce titre, le slogan de son rendez-vous de Béziers en dit long : "Pour ne pas attendre 2022". En clair, si Marine Le Pen échoue en 2017, le maire de Béziers se voit bien prendre la place. "Si elle perd, la ligne Philippot de dédiabolisation montrera qu’elle n’a pas, au final, d’aboutissement. Ça ferait beaucoup : ‘on trahit nos valeurs fondamentales, si ce n’est pas pour gagner, ça ne sert à rien’. A ce moment-là, il y aura quelque chose à faire", prédit Erwan Lecoeur. "L’enjeu, ce sera la clientèle politique que constitueront les déçus de la droite traditionnelle et ceux du FN. Et Robert Ménard voit qu’il a une opportunité pour capter cette clientèle."

Cela dit, l’exercice est périlleux. "D’autres ont essayé avant lui : Bruno Mégret bien sûr, mais aussi Samuel Maréchal, le père de Marion, Jacques Bompard, le maire d’Orange, ou encore Carl Lang, qui n’est plus aujourd’hui qu’à la tête d’un parti croupion dans le Nord", rappelle le politologue. Et à chaque fois, ce sont les Le Pen qui sont sortis gagnants du duel. Le pari est donc plus que risqué pour Robert Ménard.