Marseille : emmener des électeurs en bus, c'est légal ?

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PRIMAIRE PS - La perdante Marie-Arlette Carlotti accuse sa rivale Samia Ghali de "clientélisme". À tort ?

La charge. Alors que le second tour de la primaire socialiste à Marseille se déroule dimanche avec une participation en hausse, la question de "l'aide" apportée aux votants demeure. "Nous avons assisté au cours de cette journée à un fonctionnement à plein régime du clientélisme. Personne n’avait vu ce système fonctionner avec une telle puissance, avec un tel sentiment d’impunité. Toute une organisation que j’ai envie de qualifier de paramilitaire". L'attaque était signée Marie-Arlette Carlotti, ministre déléguée aux Personnes handicapées et candidate déchue lors du premier tour de la primaire socialiste des municipales à Marseille. Troisième, et donc éliminée, à l'issue du scrutin de dimanche, elle accuse ses adversaires, et notamment Samia Ghali, qui est arrivée en tête, d'un possible "contournement des règles de financement". Elle devrait, selon les informations d'Europe1, déposer une contestation dans la semaine auprès de la Haute Autorité.

Ce qui est reproché à Samia Ghali. Marie-Arlette Carlotti déplore les "moyens déployés" par sa rivale, "avec des dizaines de minibus qui sillonnent la ville, à la vue de tous". Samia Ghali a, il est vrai, fait conduire en minibus un certain nombre d'électeurs des quartiers nord dans les bureaux des 15e-16e arrondissements. Mais "elle assume" et ne voit pas ce qu'il y a d'illégal. "Je me suis organisée avec du covoiturage, c'est normal. Pour que nous puissions permettre à tous les électeurs, à tous ceux qui avaient signé mes parrainages, de pouvoir se rendre dans les bureaux de vote", s'est expliquée la sénatrice des quartiers nord. "Vous savez, Obama a fait une campagne de proximité où il est allé chercher les gens. On n’a pas dit à Obama qu’il faisait du clientélisme", a-t-elle renchéri.

>> La Haute autorité des primaires, chargée de veiller à la bonne tenue des élections, assure aussi qu'elle ne "souhaite pas" qu'il y ait de recours. Pour elle, le scrutin s'est passé "dans des conditions correctes". Est-il donc tout permis de faire dans une primaire ? Eléments de réponse.

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Que dit le code électoral ? En droit public français, "une collectivité locale peut tout à fait financer le transport de personnes âgées ou à mobilité réduite, en envoyant un bus devant une maison de retraite par exemple", nous explique le constitutionnaliste Didier Maus. Mais, contrairement aux Etats-Unis ou c'est même une "habitude traditionnelle", ce transport ne doit être en aucun cas dans un but électoral. La loi interdit en effet à un candidat et ses soutiens de tracter ou de faire des dépenses électorales deux jours avant la date du scrutin. Or, les fameux bus mis en cause étaient co-conduits par des soutiens assumés de Samia Ghali, et financés par la candidate. "Mais les primaires sont des manifestation privés. Rien n'est permis ou interdit à l'avance. C'est aux socialistes de déterminer les règles", précise Didier Maus. Si les règles du PS ne l'interdisent pas, rien n'interdit donc à Samia Ghali d'emmener voter qui elle veut.

Que dit le règlement du PS ? La Haute autorité a été claire : le scrutin s'est déroulé dans des "conditions correctes". Il n'y "a rien d'illégal ni même répréhensible dans ce procédé", indique-t-on également à la fédération PS des Bouches-du-Rhône. Les primaires sont en effet régulées par un règlement intérieur et une charte éthique du PS. Et rien n'y est précisé sur l'acheminement d'électeurs en bus. Seule condition : les dépenses de campagne ne doivent pas excéder 20.000 euros (dans le cas de Marseille). Or Samia Ghali soutient mordicus que la location des minibus entrait dans ces frais. Si recours il y a, elle n'aura qu'à montrer ses factures pour le prouver.

Un recours en justice est-il possible ? Déposer une plainte au civil resterait alors tout de même une option pour les détracteurs de la sénatrice."Un plaideur pourrait faire valoir que ces pratiques sont contraires aux grands principes du droit électoral", décrypte Me Thibaut Adeline-Delvolvé, avocat spécialiste en droit public contacté par Europe1.fr. Aurait-il alors des chances de l'emporter ? "On ne peut l'affirmer, il n'y a pas de précédents. Mais ce n'est pas non plus à exclure", poursuit l'expert.

Des "échanges d'argent" ?  Outre les bus, plusieurs soutiens de Marie-Arlette Carlotti soutiennent que les pro-Ghali ont payé l’euro nécessaire pour participer à l’élection de certains votants, toujours dans les bureaux des quartiers nord. La ministre parle même "d'échanges d’argent." "Il y a eu un échange d'argent dans au moins un bureau", assure le conseiller général PS et avocat Michel Pezet, pro-Carlotti, cité par Le Figaro. Mais là encore, le PS botte en touche. "Les déclarations d'un délégué d'un candidat ne sont 'pas parole d'Evangile'", s'est contenté de répondre la Haute autorité. Sur ce point là également, si elle le souhaite, la ministre et ses soutiens pourraient saisir le civil. "Il faudrait alors que le demandeur parvienne à convaincre que les électeurs n'ont pas agi de manière éclairée, que leur vote a été influence et que la responsabilité délictuelle de son adversaire est engagée", conclut Me Adeline-Delvolvé.