Les ministres candidats aux législatives, entre "effet booster" et "grande angoisse"

Christophe Castaner
Christophe Castaner, ici pendant les régionales 2015, est candidat aux législatives tout en étant nommé au gouvernement. © BERTRAND LANGLOIS / AFP
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Il leur faut gérer à la fois la prise en main d'un ministère et tracter sur les marchés de leur circonscription. Ce qui n'est ni facile ni reposant, mais se révèle souvent galvanisant.

Un week-end dans les Alpes-de-Haute-Provence, entre selfies sur le marché de Manosque et dégustation à la fête du fromage de Banon. Une semaine à Paris, à jongler entre les dossiers qui l'attendent à l'Hôtel de Clermont, qui abrite le ministère des Relations avec le Parlement, et le Conseil des ministres. Christophe Castaner, fraîchement nommé au gouvernement d'Édouard Philippe, dont il est également le porte-parole, fait partie des six ministres et secrétaires d'État qui, outre la prise en main de leur portefeuille ministériel, doivent gérer une campagne législative.

"Mon équipe prépare deux agendas". Une double casquette qui nécessite beaucoup d'énergie et une organisation au cordeau. "Mon équipe prépare deux agendas", détaille Christophe Castaner. "Le mien, en fonction des événements incontournables, et celui de ma suppléante." Car en cas de victoire, c'est bien elle, Emmanuelle Fontaine-Domeizel, qui a de fortes chances de siéger à l'Assemblée nationale. Tandis que lui, si La République En Marche (LREM) d'Emmanuel Macron obtient la majorité, se consacrera entièrement aux Relations avec le Parlement et au porte-parolat. "L'idée à faire passer sur le terrain, c'est qu'on élit à la fois un ministre et une députée qui va faire le travail législatif."

"Vous avez intérêt à avoir un bon chef de cabinet". Aurélie Filippetti s'était retrouvée dans la même situation en 2012. Nommée ministre de la Culture du premier gouvernement sous le quinquennat Hollande, elle était aussi candidate dans la première circonscription de Moselle. Et se souvient de quelques semaines "très intenses". "J'avais dégagé un jour de la semaine, en plus de mes week-ends, pour aller faire campagne. Mais en même temps, vous devez recruter des gens pour mettre en place votre cabinet et préparer les premières discussions budgétaires, qui arrivent très vite, dès le mois de juin." Elle qui, à l'époque, "découvrait" pour la première fois la prise en charge d'un ministère, a un conseil à donner à celles et ceux qui, cinq ans plus tard, cumulent une place au gouvernement et une candidature aux législatives. "Vous avez intérêt à avoir un bon chef de cabinet. Car souvent, vous gérez à distance."

"La campagne a parfois un peu roulé sans moi". Mieux vaut aussi avoir bien lancé sa campagne en amont. "J'avais déjà un directeur de campagne, j'avais préparé le financement, tout était déjà en route" lorsque Marie-Arlette Carlotti, candidate dans la cinquième circonscription des Bouches-du-Rhône, a été appelée pour être ministre déléguée aux Personnes handicapées il y a cinq ans. "J'ai surtout pensé à être à la hauteur de ma nomination. Vous avez avant tout l'idée de bien faire, de constituer rapidement une équipe efficace." À l'époque, François Hollande encourage fortement ses ministres à "aller rapidement sur le terrain", ce qui complique d'autant plus une campagne en parallèle. "Cela a parfois un peu roulé sans moi. C'est vrai que la 'circo' a tendance à peut-être passer au second plan." Surtout quand elle est à Marseille et le ministère à Paris.

"Mes adversaires diront que je suis parisien". Les adversaires des ministres candidats ne manquent d'ailleurs jamais d'en faire un argument de campagne. "Ils diront probablement que je suis parisien", soupire Christophe Castaner. Difficile de faire le même reproche à Mounir Mahjoubi, secrétaire d'État au numérique, qui enchaîne sur son temps "libre" tractages et porte-à-porte dans le 19e arrondissement de Paris, où il est candidat. Mais les critiques pleuvent quand même. "Il va devoir justifier le fait de se présenter comme candidat à la députation alors même qu'il est déjà secrétaire d'État", assène au micro de LCP Sarah Legrain, candidate pour la France Insoumise dans la même circonscription. "S'il est élu, il ne siègera même pas à l'Assemblée nationale."

" Cela a parfois un peu roulé sans moi. C'est vrai que la 'circo' a tendance à peut-être passer au second plan. "

Les adversaires ont aussi les yeux rivés sur les moyens déployés par les ministres pour faire campagne, à l'affût d'éventuelles collusions entre leur activité ministérielle, rémunérée sur les deniers publics, et celle de candidat, qui sont financées par des comptes dédiés strictement encadrés. "Il faut être extrêmement vigilant sur l'utilisation des moyens publics", rappelle Aurélie Filippetti. Pas question, par exemple, d'utiliser la même voiture pour les déplacements en tant que ministre et ceux comme candidat.

La pression pour gagner. À toutes les difficultés pratiques s'ajoute la pression. Car depuis 2007, la tradition veut que les ministres candidats qui perdent les législatives soient contraints de démissionner. Pour l'instant, le seul à en avoir fait les frais est Alain Juppé. Nommé ministre de l'Écologie par Nicolas Sarkozy dans le premier gouvernement Fillon, le maire de Bordeaux, battu en Gironde quelques semaines plus tard, avait dû quitter son poste. Cette épée de Damoclès décourage parfois. En 2012, Najat Vallaud-Belkacem avait ainsi renoncé à se présenter dans la quatrième circonscription du Rhône. Officiellement, la nouvelle ministre des Droits des femmes voulait "mieux assumer cet engagement sans délai et cette implication sans partage". Officieusement, sa circonscription était loin d'être gagnée d'avance. La droite avait d'ailleurs regretté "un manque de courage".

"Grande angoisse" des membres du cabinet. Celle d'Aurélie Filippetti, en Moselle, ne l'était pas non plus. "La grande angoisse, c'était celle de mon cabinet", raconte celle qui l'avait finalement emporté avec un peu plus de 59% des suffrages. "Ils savaient que si je perdais, ils partiraient aussi. Ils étaient tous très anxieux." Christophe Castaner, de son côté, constate aujourd'hui que "certaines personnes seraient plus intéressées pour venir travailler [avec lui] au mois de juin plutôt que maintenant". Histoire, pour ces collaborateurs, d'être absolument certains qu'ils ne perdront pas leur poste trois semaines plus tard.

"On m'a proposé une autre circonscription". Pas question néanmoins pour l'élu des Alpes-de-Haute-Provence de renoncer. "Je sais que d'autres y ont songé", glisse-t-il. "On m'a aussi gentiment proposé d'aller sur une autre circonscription plus facile." L'idée de déménager ne lui "a pas traversé l'esprit", assure-t-il. "Le nomadisme électoral, c'est amoral. Si vous n'aimez pas la terre où vous êtes élu, vous vous plantez complètement." Marie-Arlette Carlotti, elle non plus, n'avait pas abandonné sa "circonscription de droite, découpée sur mesure pour le dauphin de Jean-Claude Gaudin [Renaud Muselier]", en dépit d'une proposition de François Hollande lui-même. "J'avais pris un engagement, je ne me voyais pas me dédire devant les électeurs." Bien lui en a pris : élue avec près de 52% des suffrages, elle garde son ministère, qui s'élargit même à la Lutte contre l'exclusion. "Un peu ma récompense pour mon exploit", s'amuse-t-elle aujourd'hui.

" On m'a gentiment proposé d'aller sur une autre circonscription plus facile. Cela ne m'a pas traversé l'esprit. "

"Vous êtes dans le mouv'". D'ailleurs, loin de considérer que sa nomination au gouvernement a compliqué sa campagne de terrain, l'ancienne ministre lui attribue largement sa victoire. "Ça fait grimper votre notoriété. Je sortais sur le terrain, les médias étaient là. Pour mon premier conseil des ministres, la presse locale était là." Lorsqu'elle revient dans sa circonscription, Marie-Arlette Carlotti se sent poussée par "la dynamique" Hollande. "Sur le terrain, il y a du monde, les copains sont là. Vos troupes et vos amis sont galvanisés. Vous êtes dans le mouv'."

Christophe Castaner, lui aussi, ressent un "effet booster", "surtout dans les territoires ruraux où les gens n'ont pas forcément l'habitude que leur candidat soit aussi ministre". Le porte-parole du gouvernement croit en un "souffle" consécutif à l'élection d'Emmanuel Macron qui, "logiquement, devrait [lui] être favorable".

Une règle "saine" et "normale". Si tel ne devait pas être le cas, alors il n'aura aucun mal à se plier à la règle non écrite et à démissionner, assure-t-il. "C'est légitime et logique." Aurélie Filippetti ne dit pas autre chose. "Cette règle est normale, saine. L'onction du suffrage universel est importante." Il n'a d'ailleurs pas échappé à l'ancienne ministre, débarquée du gouvernement en 2014 et qui a, depuis, rejoint le camp des frondeurs, que le gouvernement d'Emmanuel Macron compte bien moins de candidats que celui de François Hollande en 2012. Six au total, contre 26 il y a cinq ans.

La conséquence d'un gouvernement plus resserré, de la nomination de personnalités de la société civile, mais pas que. "Aujourd'hui, on voit arriver une nouvelle génération d'opportunistes qui n'ont de compte à rendre à personne", s'agace Aurélie Filippetti. "Mais ces gens doivent tout au Premier ministre et au président. Il faut faire attention. Les électeurs, ce sont aussi des cordes de rappel. Ce sont eux qui vous font des retours sur le terrain."