Les présidents et la banlieue, 30 ans de politique et de… renoncement

© PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP
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Mitterrand, Sarkozy, Chirac ou Hollande, ils ont tous tenu de longs discours sur la banlieue. Sans jamais y faire grand chose.

"Le président juge que ces émeutes furent un moment marquant de notre histoire". La confession émane d’un conseiller du chef de l’Etat. Dix ans après les émeutes consécutives à la mort de Zyed et Bouna, François Hollande s’est donc rendu à La Courneuve, la semaine dernière. Et lundi, le gouvernement a dévoilé son arsenal de mesures anti-ghettos urbains. Depuis 30 ans, on compte une petite dizaine de "plan banlieue", une trentaine de comités interministériels des villes et bien plus encore de discours vibrants sur la nécessaire rénovation urbaine. Europe 1 vous refait le film de 30 ans de "Parole, parole, parole".

"La question a commencé à affleurer sous Giscard". Construits entre le milieu des années 1950 et le milieu des années 1970, les grands ensembles ne sont alors pas une préoccupation pour Charles de Gaulle ou Georges Pompidou. "La question a commencé à affleurer sous Giscard, avec le premier ‘plan banlieue’ lancé par Jacques Barrot en 1977", rappelle Thomas Guénolé, politologue et auteur d’un livre visant à déconstruit les stéréotypes qui pèsent sur les jeunes de banlieue*. Les premières cités, construites dans l'urgence pour répondre à la demande pressante de logements, ne devaient être que provisoires. Mais le provisoire a duré, les bâtiments se sont dégradés et des tensions sont nées, ce qui a poussé les politiques à s'emparer de la question.

"Mitterrand avait compris que c’était un enjeu majeur, mais…" Sous le règne Mitterrand - et les violents incidents estivaux dans le quartier des Minguettes, près de Lyon, en 1981, y ont participé -, les choses commencent à changer sous l’impulsion de Roland Castro, architecte et militant politique. Contacté par Europe 1, ce dernier se souvient : "le 11 mai 1981 (au lendemain de l’élection présidentielle, ndlr), j’ai envoyé une lettre à François Mitterrand pour lui dire que LE sujet de son septennat était la banlieue. Au bout de la sixième lettre, le président m’a reçu. Je refuse un déjeuner avec lui et lui propose à la place un survol de La Courneuve en hélicoptère, pour lui faire prendre conscience des réalités. Il a accepté et m’a ensuite nommé chargé de mission sur la rénovation des banlieues. Il avait compris que c’était un enjeu majeur".

"La montée du FN a mis un frein à cette politique de la ville". Avec l’aval de "Tonton", Roland Castro lance donc Banlieues 89, une mission interministérielle dont l’objectif est de transformer la banlieue d’ici à… 1989. Nous sommes alors en 1983. Ambitieux. Sauf que la politique va très vite reprendre ses droits, au grand dam de Roland Castro. "La montée du FN a mis un frein à cette politique de la ville car la banlieue est devenue un lieu de fabrication du lepénisme. Et comme Mitterrand - on l’a su après - a tout fait pour faire monter Le Pen afin d’être réélu, on comprend pourquoi il a mis un mouchoir sur ses ambitions", regrette-il. Un symbole de ce renoncement, pour lui : la nomination de Bernard Tapie comme ministre de la Ville, en 1992, qui démissionne trois jours après avoir présenté son "plan banlieue".

"Dans les banlieues déshéritées règne une terreur molle". La banlieue, en tant qu’enjeu politico-politicien, devient même un enjeu présidentiel. En 1995, Jacques Chirac fait ainsi campagne sur "la fracture sociale". "Dans les banlieues déshéritées règne une terreur molle. Quand trop de jeunes ne voient poindre que le chômage, ils finissent par se révolter. Pour l'heure, l'État s'efforce de maintenir l'ordre et le traitement social du chômage évite le pire. Mais jusqu'à quand ?", interroge le candidat. Jusqu’en 2005.

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En 2002, rebelote. L’insécurité est dans toutes les bouches. Le président sortant le sent et multiplie les visites en banlieue, à Garges-lès-Gonesse, Mantes-la-Jolie, Argenteuil ou Savigny-sur-Orge. Il y est copieusement insulté, essuie même des crachats. Qu’importe, il est de bon ton de montrer l’autorité de l’Etat dans ces quartiers dont tout le monde parle. Y être injurié accrédite même l’idée qu’il est urgent d’agir.

"Chirac se foutait des banlieues". Quand les émeutes éclatent en 2005, Jacques Chirac reste en retrait et laisse la main à son bouillonnant ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. "Chirac était alors dans la logique communicationnelle de Pilhan : la parole du chef de l’Etat doit se faire rare. C’est pour cela qu’il a laissé la main à Sarkozy sur ce sujet", décrypte le politologue Thomas Guénolé. "Chirac se foutait des banlieues…", estime quant à lui Roland Castro.

"Racaille", "Kärcher" et "voyous". Nicolas Sarkozy, lui, comprend tout le bénéfice politique qu’il peut tirer de ces événements. Il se rend très vite sur place et assure que Zyed et Bouna "n'étaient pas, à ce moment-là, poursuivis physiquement par la police". Colère dans les banlieues. Le premier flic de France se rend ensuite à La Courneuve et promet aux habitants de "nettoyer au Kärcher la cité". Puis, à Argenteuil, il emploie les mots "racailles" et "voyous" pour qualifier les responsables des émeutes. La rupture est dès lors profonde entre Nicolas Sarkozy et les banlieues.

"En banlieue, il y a un vrai rejet de Sarkozy, les gens n'ont rien oublié. Le message qu’ils ont entendu à l’époque, c’est : ‘la jeunesse des banlieues, c’est de la racaille’. Il aura du mal à s’en défaire", confirme Thomas Guénolé, spécialiste de la droite. Un désamour contre lequel tente de lutter celui qui est ensuite devenu président de la République. Mais son "plan banlieue", porté par Fadela Amara - symboliquement originaire de ces quartiers -, n’a pas plus de succès que les précédents.

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Hollande court derrière l’électorat des banlieues. Après une campagne active dans les quartiers - au moins une dizaine de déplacements -, le président François Hollande a déçu cet électorat, massivement derrière lui dans les urnes. Echec sur le front de l’emploi, abandon de la promesse du droit de vote des étrangers aux élections locales et oubli de la lutte contre le délit de faciès sont les principales explications de ce désamour. Alors François Hollande fait tout pour se rattraper. 2017 n’est plus si loin. Ce qui explique sa visite à La Courneuve, la semaine dernière. Ainsi que la ribambelle de mesures prises par son gouvernement en faveur des quartiers sensibles. Suffisant pour être réélu ? Ou pour régler le problème des banlieues ?  

Roland Castro, qui participe actuellement aux réflexions sur le Grand Paris, a une petite idée de la réponse : "la banlieue est devenue un objet de manipulation pour un jeu à trois : la droite, la gauche et l’extrême droite, alors que c’est un enjeu civilisationnel, le miroir grossissant de toutes nos emmerdes !"

 

*Les Jeunes de banlieue mangent-ils les enfants ?, aux éditions Le Bord de l’eau, 2015, 214 pages, 17 euros