Le projet à "0 euro" de l’UMP est-il crédible ?

L'UMP a présenté son programme pour 2012 et l'a chiffré à 0 euro.
L'UMP a présenté son programme pour 2012 et l'a chiffré à 0 euro. © MAXPPP
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Hélène Favier , modifié à
DECRYPTAGE - Voici le projet UMP pour 2012 revu et corrigé par deux économistes.

Ce sera la boîte à idées du candidat UMP. La semaine dernière, le parti présidentiel a présenté la synthèse de son programme pour 2012. Ce projet - qui reprend les volets économiques et social, régalien et international présentés lors de trois conventions - est chiffré à " 0 euro" par le parti, qui promet que chaque dépense serait compensée par une économie équivalente.

Mais ce système de compensation tient-il la route ? Pour répondre à cette question, Europe1.fr a décidé de soumettre cinq propositions de ce projet au regard critique de deux économistes : Philippe Waechter, directeur de la Recherche Economique à Natixis Asset Management, et Bruno Jérôme, chercheur à l'université Paris-II. Voici leur décodage.

> La proposition de l’UMP : les collectivités locales à la diète 

Pour atteindre l’objectif d’un projet à coût 0, les 30 milliards de dépenses nouvelles du projet UMP seront "compensés à l'euro près par l'Etat (fin des 35 heures), par la Sécurité sociale et les collectivités locales", assure le parti majoritaire. Mauvaise nouvelle donc pour les collectivités locales qui devront économiser "2 milliards d'euros par an sur cinq ans".

Le point de vue des économistes : "Le problème avec cette proposition, c’est que les collectivités locales  n’ont déjà plus un rond", lance Philippe Waechter. "Elles n’ont déjà plus les moyens de faire face à leurs missions considérablement élargies ces dernières années. Comment dès lors feront-elles pour générer cet effort supplémentaire ? Elles augmenteront les impôts", prédit l’économiste de Natixis Asset Management.

"Un projet à coût 0, cela ressemble fort à un slogan", estime également Bruno Jérôme qui juge pourtant la proposition "réaliste". "Les collectivités locales représentent 22% des dépenses publiques et il est tout à fait plausible qu’elles aient à contribuer à l’effort national. En 1998, leurs frais de personnels étaient de 28 milliards. Aujourd’hui, ce chiffre s’élève à 50 milliards ! On peut donc en déduire que les collectivités locales ont trop embauché et qu’il est normal qu’un effort leur soit demandé de ce côté-là".

> La proposition de l’UMP : une fiscalité "anti-délocalisation"

L’UMP propose de transférer "35 milliards d’euros de cotisations familiales vers une "fiscalité anti-délocalisation" qui rétablit des conditions de concurrence équitables pour les salariés français". Cette fiscalité anti-délocalisation comprend une TVA sociale light : la baisse des charges salariales et patronales étant compensée par une hausse légère de la TVA.

Le point de vue des économistes : "Cette proposition reprend une idée du Medef qui s’était lui-même inspiré de l’expérience allemande", explique d’abord Bruno Jérôme. "A l’époque, le syndicat patronal estimait qu’il pouvait ainsi baisser le coût du travail de 10 % en France".

Le problème, c’est qu’il est impossible de prévoir quelles seront les conséquences exactes de cette proposition. "Une telle réforme pourrait, par exemple, créer des effets d’aubaine", précise l’économiste, expliquant : "Les entreprises n’ont aucune obligation de répercuter la baisse du coût du travail sur leurs prix. Elles pourraient très bien préférer augmenter la rémunération de leurs actionnaires". Le bénéfice de cette mesure serait alors nul.

"Cette mesure pénalisera surtout les entreprises étrangères", estime, pour sa part, Philippe Waechter, qui s’explique : "les exportations seront flanquées d’une TVA plus élevée, sans avoir bénéficié d’une baisse des coûts. Elles seront plus chères que les denrées françaises. L’Allemagne avait joué sur ce levier il y a quelques années. Mais dans le contexte actuel, on peut se demander s’il est vraiment opportun, en Europe, de relancer ce type d’opérations où chacun se tire dans les pattes".

> La proposition de l’UMP : favoriser le "made in France"

"Notre fil directeur, c'est réindustrialiser la France. Nous voulons mettre sur le podium un made in France comme il y a un made in Germany", fait valoir le parti présidentiel, qui entend développer le tissu industriel.

Le point de vue des économistes : "Il s’agit surtout un argument politique", analyse d’emblée Philippe Waechter, qui se demande comment l’UMP va s’y prendre "pour inciter les entreprises à jouer le jeu. Il n’est pas simple de convaincre les entreprises de relocaliser dans l’hexagone", juge-t-il. "La qualité française est recherchée mais, effectivement, il faut réfléchir d’abord, aux raisons qui poussent  les entreprises à s’installer à l’étranger plutôt qu’en France", renchérit Bruno Jérôme. (Lire ici : "le made in France", nouveau slogan de campagne)

> La proposition de l’UMP : dégressivité des allocations chômage

L'UMP, dans son chapitre des "droits et des devoirs", propose de plafonner les revenus des minima sociaux et de rendre dégressives les allocations chômage.

Le point de vue des économistes : "Cela fait 35 ans que l’on en parle. Plusieurs études, notamment de l’Insee, ont montré qu’il y a effectivement un 'mur de l’emploi'. Le niveau d’allocations fait qu’il existe un frein à l’emploi en France", indique Bruno Jérôme. "Mais, aujourd’hui,il paraît peu concevable de mettre en œuvre une telle réforme dans la situation dans laquelle nous nous trouvons. Cela risquerait de créer encore plus de précarité", ajoute le chercheur.

"C’est jouable si le marché du travail est flexible", juge pour sa part, Philippe Waechter. "Mais la dynamique du marché du travail en France n’est pas celle du Royaume-Uni ou des Etats-Unis. Dans l’hexagone, rien n’indique donc qu’une telle mesure soit efficace, surtout dans le contexte actuel", assène-t-il.

> La proposition de l’UMP : réforme de la conditionnelle

Le parti majoritaire propose d’interdire les libérations conditionnelles pour les prisonniers qui n'auront pas purgé au moins les deux-tiers de leur temps de détention.

Le point de vue des économistes : Cette mesure est réaliste, selon les économistes. Mais elle a un coût. "J’ai fait le calcul", explique Bruno Jérôme. "Grosso modo, un prisonnier coûte 100 euros par jour. Soit 36.000 euros par an. Si on estime que cette mesure s’applique au moins à 5.000 cas de libérations conditionnelles : on arrive à un budget de 0,2 milliard d’euros, soit 8% du budget actuel des prisons. Sans compter que cette décision générera d’autres coûts : celui de la construction de nouvelles places de prison, de l’embauche de personnels, etc.", détaille-t-il, estimant que cette mesure reste très chère.

Le programme de l’UMP est, en ce moment, distribué aux militants du parti, qui pourront, du 14 au 26 janvier, voter sur Internet pour approuver ou non ce projet 2012.