Le livre de Patrick Buisson est-il vraiment un coup dur pour Nicolas Sarkozy ?

© FRANCOIS LO PRESTI / AFP
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L'ouvrage de l'ancien conseiller de l'ex-président est plein d'anecdotes gênantes. Mais son auteur controversé, comme son contenu qui élude les affaires, n'inquiètent pas les sarkozystes.

Le mois de septembre serait-il un peu difficile pour Nicolas Sarkozy ? Il a commencé avec une réquisition de renvoi en correctionnelle par le parquet dans l'affaire Bygmalion, et s'achève avec la sortie du livre de l'ex-conseiller du candidat à la primaire, Patrick Buisson. La cause du peuple (éd. Perrin) fait notamment un inventaire des piques adressées par l'ancien président aux personnalités politiques, dont beaucoup de son propre camp. On y découvre ainsi que Gérard Larcher serait "trop laid" pour être ministre, Christian Estrosi un "abruti" et Xavier Bertrand "méchant".

Derrière les formules assassines, Patrick Buisson brosse le portrait d'un Nicolas Sarkozy virevoltant, changeant souvent d'opinions et enclin à courir derrière le Front national. Alors que la campagne pour la primaire de la droite entre dans le vif du sujet, avec le premier débat prévu le 13 octobre, et que l'ancien président semblait remonter dans les derniers sondages pour coller au favori, Alain Juppé, la publication du livre tombe au plus mal.

"Compliqué de mesurer l'impact". Pas sûr, néanmoins, que ces révélations portent réellement préjudice à Nicolas Sarkozy. "Il est compliqué d'en mesurer l'impact, surtout lorsque [l'auteur] sent le soufre", explique à Europe 1.fr Emmanuel Rivière, directeur France de Kantar Public, qui vient de publier avec deux collègues un sondage Kantar Sofres donnant Alain Juppé vainqueur de la primaire. "Mais cela sera sûrement moindre que l'effet qu'avait pu avoir le livre de Valérie Trierweiler sur François Hollande. Il y avait là une part de voyeurisme, mais aussi un côté curiosité, vaudeville, qu'on ne retrouve pas dans l'ouvrage de Buisson."

" L'impact du livre de Buisson sera sûrement moindre que celui qu'avait pu avoir le livre de Valérie Trierweiler sur François Hollande. "

"Crédit entre zéro et moins l'infini". Les proches de Nicolas Sarkozy l'ont bien compris, et utilisent à l'envi cet angle d'attaque : Patrick Buisson, épinglé pour avoir enregistré Nicolas Sarkozy et son épouse Carla Bruni à leur insu, condamné par la justice pour "atteinte à la vie privée" et publiquement désavoué par l'ancien président, ne chercherait qu'à se venger. Et n'est absolument pas digne de confiance. "Le crédit que j'accorde à ce personnage, à ses méthodes empruntées à la Stasi […], ce crédit est entre zéro et moins l'infini", a ainsi déclaré, mercredi sur RTL, le sénateur François Baroin, promis au poste de Premier ministre si Nicolas Sarkozy remportait la présidentielle. "C'est un règlement de comptes qui n'a pas d'intérêt", a renchéri Laurent Wauquiez, président par intérim des Républicains, sur BFM TV.

Ses adversaires n'en profitent pas. En outre, Patrick Buisson ne fait aucune révélation gênante sur les affaires, et notamment Bygmalion. Un soulagement pour l'entourage de Nicolas Sarkozy, qui sait très bien que l'ancien président a l'habitude de distribuer des piques à tout le monde. "Tous ceux qui sont étrillés dans le livre dans son équipe vont être très câlinés en public dans les prochains jours", anticipe un élu de droite dans les colonnes du Parisien. Et tout sera très vite oublié. D'autant que les adversaires de Nicolas Sarkozy n'ont visiblement aucune envie de contre-attaquer sur ce terrain. "Je n'ai pas l'habitude de commenter les poubelles", a ainsi évacué Virginie Calmels, première adjointe d'Alain Jupé à Bordeaux, mercredi sur LCP.  

Accumulation. "Tout ça ne tombe cependant pas très bien", note Emmanuel Rivière. Notamment car les ennuis s'accumulent. Avant le livre de Patrick Buisson, il y a eu les réquisitions de renvoi du parquet pour financement illégal de la campagne, révélées début septembre, le tollé suscité par certaines déclarations, notamment celles sur "nos ancêtres les Gaulois", et les gardes à vue de Bernard Squarcini et Christian Flaesch, proches de Nicolas Sarkozy. Selon Mediapart, un carnet aurait également été récupéré par la justice dans l'affaire du financement libyen de la campagne de 2007. Enfin, jeudi, c'est la diffusion, sur France 2, d'une enquête du magazine Envoyé spécial sur Bygmalion, qui promet de ne pas épargner l'ancien chef de l'État. "Jusqu'ici, avec l'enchaînement des affaires judiciaires, Nicolas Sarkozy avait trouvé une parade qui fonctionnait très bien : parler de complot et d'acharnement", rappelle Emmanuel Rivière. "Mais c'est difficile d'invoquer la même chose avec un livre de Patrick Buisson."

Vote "contre" Nicolas Sarkozy. De là à dire que cette mauvaise séquence pénalise Nicolas Sarkozy dans sa campagne, il y a un pas que le directeur de l'institut de sondage ne franchit pas. Certes, l'enquête Kantar Sofres (réalisée avant la publication du livre de Patrick Buisson mais après la demande de renvoi en correctionnelle et les polémiques sur les ancêtres Gaulois) donne Alain Juppé devant Nicolas Sarkozy au premier tour de la primaire (39% contre 33% des intentions de vote). Elle montre aussi que le maire de Bordeaux creuserait l'écart au second (59% contre 41%). "Mais Nicolas Sarkozy reflue peu, il ne perd qu'un point", précise Emmanuel Rivière. "En réalité, le corps électoral s'est redéplacé vers le centre. On retrouve plus d'électeurs centristes, ce qui est plutôt favorable à Alain Juppé." Autrement dit, il s'agit d'un vote de rejet plus que d'une perte d'adhésion pour l'ancien président.

"Chassé-croisé" avec Juppé. Dans ces conditions, difficile de parler de mauvaise passe pour Nicolas Sarkozy. Surtout que les cotes de popularité de l'ancien Premier ministre et de l'ancien président ne suivent pas une tendance linéaire. "On est plus dans une logique de chassé-croisé que de croisement des courbes", analyse Emmanuel Rivière. La situation peut donc changer très vite, avec une démobilisation des centristes prêts à voter Alain Juppé, ou de nouveaux propos clivants de Nicolas Sarkozy. "Et ce sera probablement comme ça au moins jusqu'au premier débat", anticipe Emmanuel Rivière.