Le Front national est-il vraiment le grand gagnant du Brexit ?

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Margaux Baralon
A priori, le parti frontiste peut surfer sur le référendum britannique et le citer en exemple de ce qu'il souhaite pour la France. Mais il lui est compliqué d'en profiter pleinement.

"Regardez comme l'histoire est belle quand la liberté se joue des pouvoirs en place et triomphe, portée par la volonté d'un peuple !" Marine Le Pen n'a pas caché sa joie, mardi, au Parlement européen, lors d'une séance extraordinaire consacrée au Brexit. Pour la présidente du Front national, le référendum qui a vu une majorité d'électeurs britanniques se prononcer pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne semble être une aubaine. Mais capitaliser sur ce scrutin pour faire triompher ses idées eurosceptiques en France n'est pas nécessairement une tâche aisée.

Laisser infuser l'idée du référendum. La stratégie du Front national après le Brexit est claire : tenter d'imiter le Royaume-Uni. Selon Nicolas Bay, secrétaire général frontiste, le "vent de liberté" venu d'Outre-Manche doit inspirer la France. "Les Britanniques avaient saisi les méfaits [de l'Union européenne] avant les autres : ils n'étaient pas dans Schengen, ils n'étaient pas dans l'Euro. Aujourd'hui, ils montrent de nouveau la voie", a-t-il déclaré sur Europe 1 au lendemain du Brexit.

Entendu sur europe1 :
Les Britanniques avaient saisi les méfaits [de l'Union européenne] avant les autres. Aujourd'hui, ils montrent de nouveau la voie.

À maintes reprises, et notamment dans une tribune au New York Times, Marine Le Pen a appelé à un "printemps des peuples" européens. Reçue par François Hollande à l'Élysée samedi, elle a proposé au chef de l'État d'organiser un référendum sur le "Frexit", la sortie de la France de l'Union européenne. Si elle a, de façon très prévisible, essuyé un refus, la présidente du Front national sait néanmoins que cette idée va faire son chemin dans les esprits. Et d'abord dans ceux de la classe politique. Ainsi, plusieurs candidats de droite, notamment Bruno Le Maire et Alain Juppé, appellent un référendum de leurs vœux. Même s'ils ne sont d'accord avec le Front national ni sur le calendrier (eux préfèrent prendre leur temps), ni sur la question à poser (ils veulent voter pour ou contre un nouveau projet européen, et non sur un "Frexit").

Créer un précédent. Au-delà de légitimer l'usage d'une consultation populaire pour sortir de l'Union européenne, le vote du Brexit doit permettre de créer un précédent. Et donc de faciliter la tâche du Front national. "La réussite politique et économique d'un pays sorti de l'Union européenne serait une preuve manifeste de son caractère néfaste", a ainsi expliqué Marine Le Pen au New York Times. La candidate à la présidentielle 2017 fait le pari que les Français pourraient être plus enclins à voter pour un "Frexit" s'ils constatent que l'abandon de l'Union européenne a profité à leurs voisins britanniques.

C'est d'ailleurs pour cela que le Front national s'est attaché à minimiser les premières conséquences potentiellement néfastes du Brexit, notamment l'effondrement des cours de la bourse au lendemain du vote. "L'hystérie qui agite aujourd'hui les marchés financiers ne durera qu'un temps et ne doit pas nous impressionner", a déclaré Marine Le Pen.

Premiers signaux économiques peu convaincants. Reste que les premiers signaux économiques post-Brexit ne sont pas très bons. Certes, les bourses européennes sont parvenues à rebondir, mardi après-midi, avec notamment un CAC 40 parisien en hausse de 3,22% et un FTSE 100 britannique qui progressait de 2,96%. Mais les places boursières du Vieux Continent ont néanmoins accusé une baisse de 11% les jours précédents. "Ceux, notamment les populistes et les extrémistes, qui appellent leur pays à sortir de l'Union européenne, doivent savoir maintenant quelles en sont les conséquences", avertissait d'ailleurs François Hollande, samedi.

" Ceux qui appellent leur pays à sortir de l'Union européenne doivent savoir maintenant quelles en sont les conséquences. "

Cette fébrilité des marchés financiers, alors que le Royaume-Uni ne fait pas partie de la zone euro, est une mauvaise nouvelle pour le Front national. Car elle laisse présager des turbulences plus importantes encore si la France, dans la zone euro, venait à prendre le large. Or, le programme économique frontiste a déjà tendance à effrayer l'électorat. La sortie de l'euro, prônée autrefois avec vigueur par Marine Le Pen, fait désormais débat au sein même du parti. À tel point que les différents responsables d'extrême droite parlent désormais de "sortie concertée" de la zone euro…voire n'en parlent plus du tout.

Promesses brisées. Mais l'incertitude économique n'est pas le seul élément qui pourrait empêcher le Front national de capitaliser sur le Brexit. Certains arguments utilisés Outre-Manche par les eurosceptiques, et qui font écho à ceux du Front national en France, se sont effondrés après le scrutin.

Ainsi de celui sur le contrôle de l'immigration. La campagne pro-Brexit s'est largement focalisée sur le fait que sortir de l'Union européenne permettrait au Royaume-Uni de reprendre le contrôle de ses frontières et de limiter l'arrivée des immigrants. Pourtant, au lendemain du référendum, l'eurodéputé conservateur Daniel Hannan, ardent défenseur du Brexit, déclarait à la BBC qu'il n'était pas question de mettre un terme à la "libre-circulation des travailleurs". "Franchement, si les gens qui nous regardent pensent qu'il y aura désormais une immigration zéro, ils vont être déçus." Un retournement de veste qui pourrait bien, par ricochet, porter atteinte à la crédibilité des promesses du Front national.

Les populistes mal préparés. La façon dont les partisans du Brexit Outre-Manche ont géré la victoire, c'est-à-dire en faisant preuve d'une impréparation surprenante, n'est pas non plus pour servir la cause du Front national. Les populistes britanniques, Nigel Farage, leader du UKIP, et Boris Johnson, ancien maire conservateur de Londres, ont semblé freiner des quatre fers au lendemain du référendum. Le second est même allé jusqu'à dire qu'il n'y avait "pas d'urgence" et que "rien ne va changer à court terme". Eux qui étaient pourtant si pressés de sortir de l'Union européenne pendant la campagne laissent désormais leurs électeurs dans le flou.  

En France, les promesses du Front national d'engager rapidement (Marine Le Pen se donnerait six mois pour organiser un référendum) une sortie de l'Union européenne s'ils arrivaient au pouvoir pourraient souffrir de ce mauvais exemple britannique.

Les sondages contre un "Frexit". Enfin, le Brexit a forcé les autres partis politiques, appelés à concurrencer le Front national pour l'élection 2017, à prendre position sur l'Europe. Tous savent que le sujet sera au cœur de la campagne présidentielle. "Il y aura un débat, un beau débat en France à l'occasion de l'élection", a prédit Manuel Valls, mardi, devant les parlementaires.

Mais contrairement aux frontistes, le Premier ministre et le président restent persuadés que le bras de fer entre eurosceptiques et europhiles ne jouera pas en la faveur de l'extrême droite. Au contraire, Manuel Valls a tiré du Brexit de nouveaux arguments contre le Front national. "La conséquence d'une victoire de l'extrême droite dans ce pays, ce serait ça : la perte de nos valeurs, l'affaissement de la France, la sortie de l'Union européenne et notre sortie de l'histoire." Un argument qui pourrait bien faire mouche. Car les derniers sondages montrent que les Français ne sont pas favorables à une sortie de l'Union européenne. Selon une enquête TNS Sofres publiée mardi, seuls 33% d'entre eux souhaitent un "Frexit".