Le footing est-il de droite ?

© Reuters
  • Copié
, modifié à
ENQUÊTE - De Sarkozy à Le Maire en passant par Fillon, les hommes de droite médiatisent leur goût du jogging. Et à gauche ?

17 mai 2007, 12h50. François Fillon a été nommé Premier ministre trois heures plus tôt. Mais quand il arrive à l’Elysée, c’est en short et en baskets. Investi la veille président de la République, Nicolas Sarkozy souhaite embarquer son « collaborateur » dans sa foulée. Ce footing qui marque le début d’une nouvelle communication politique.

>> A VOIR : Ces politiques en short et baskets

Amoureux de cyclisme, c’est pourtant bien la course à pied que Nicolas Sarkozy choisit alors pour montrer aux Français son goût de l’effort. Un choix pas anodin. L’ex- ministre de l’Intérieur a compris l’intérêt qu’il pouvait retirer de ses médiatiques foulées quotidiennes. "La course à pied est le sport le plus pratiqué en France, avec 10 millions de pratiquants plus ou moins réguliers", assure Bernard Amsellem, président de la Fédération française d’athlétisme.

"C’est un sport prisé des classes moyennes, pivot de la société, qui est friande de cette nouvelle tendance de ‘l’entretien de soi’. En adoptant sa pratique, la droite cherche à la séduire, à lui montrer qu’elle aussi est dans l’effort quotidien", poursuit Patrick Mignon, responsable du Laboratoire de sociologie du sport de l'Insep.
 

"Sarkozy a singé le mode de communication à l’américaine"

Faire comme les Français, donc. Mais aussi comme les Américains. "Nicolas Sarkozy a singé le mode de communication à l’américaine, et notamment les footings de Bill Clinton", avance Bruno Jeudy, journaliste politique au JDD et grand spécialiste de la droite française.

Sans-titre-1

Atlantiste convaincu et passionné, Nicolas Sarkozy a pensé faire souffler un vent de fraîcheur en important les mœurs politiques de l’Oncle Sam. La rupture, c’était aussi ça. Ses ministres l’ont très vite compris. Le footing, c’est donc devenu leur dada. Quand Valérie Pécresse fait la promotion de son livre dans Le Point, il y a deux semaines, c’est en short et en plein effort qu’elle apparaît en page centrale. Une photo qui a surpris pour cette femme pudique. Mais, nous a-t-on dit, elle est "très contente de l’image renvoyée par ce cliché". Bruno Le Maire a fait encore plus fort en posant en Une du magazine spécialisé Running Attitude. Laurent Wauquiez, lui, répète à tout bout de champ avoir couru le marathon de Berlin. Et on en oublie.

Wauquiez : "peut-être que c’est Sarkozy qui m’a singé ?"

"Il y a certainement, consciemment ou non, une forme de mimétisme. ‘Le chef court, donc je cours !’", estime Patrick Mignon, de l’Insep. Une théorie validée par Bruno Jeudy, grand amateur de… marathon. "Il y avait aussi une part de mimétisme chez les ministres [sous du gouvernement Fillon] car ils savaient tous que Nicolas Sarkozy ne voulaient pas de gens avec de l’embonpoint au gouvernement." Une anecdote illustre parfaitement le propos : pressenti au gouvernement, Edouard Courtial a eu vent des hésitations de Nicolas Sarkozy en raison de son poids. Le député de l’Oise a donc chaussé ses baskets, perdu une dizaine de kilos… et obtenu son maroquin.

Laurent Wauquiez

Contacté par Europe1.fr, Laurent Wauquiez réfute catégoriquement l’hypothèse : "je revendique l’antériorité par rapport à Sarkozy", assure-t-il, avant de retourner la question en riant : "peut-être que c’est Sarkozy qui m’a singé ?" Lui assure en tout cas que "quand [il] cour[t], [il] ne le fai[t] pour l’image politique que cela renvoie, mais justement pour oublier la politique." Ce qu’il ne s’applique pas à lui-même, le député de la Haute-Loire l’imagine en revanche parfaitement pour les autres. Ainsi admet-il que "quand Kouchner fait un footing à New York derrière Sarkozy, là, oui..." Sur ce sujet, Valérie Pécresse a refusé de répondre.

"C’est inimaginable de voir Hollande courir !"

Reste une question : si le footing permet aux politiques de se rapprocher du Français moyen, qu’attend la gauche pour elle aussi enfiler ses baskets ? La réponse est politique. "Dès son entrée en fonction, François Hollande a voulu rompre avec le style Sarkozy en se montrant plus solennel. Il aurait donc été étrange de le voir courir avec Obama !", avance Patrick Mignon, suivi par Bruno Jeudy, auteur d’un livre sur  la relation de Sarkozy au sport * sur ce même terrain : "c’est inimaginable de voir Hollande courir ! Ce serait trop proche de la communication de Sarkozy."

Fourneyron rejette l’idée d’un "footing de droite"

Valérie Fourneyron, 930

Contactée par Europe1.fr, Valérie Fourneyron, ministre des Sports, rejette d’abord avec force l’idée d’un sport de droite, rappelant qu’elle a elle-même participé à une course contre le cancer du sein, en 2012. Puis son entourage glisse, taquin : "les hommes de  droite sont peut-être simplement plus enclins à se mettre en scène dans leur vie privée que les politiques de gauche. On préfère mettre nos idées et notre action en avant, plutôt que notre image." Ce serait donc ça. "Les ministres socialistes sont affûtés, donc ils font du sport, mais ils ne sont pas dans la démonstration", abonde Patrick Mignon. Mimétisme pour les uns, volonté de ne pas copier l’ancien président pour les autres, en 2007, le footing n’est donc pas devenu de droite. Il est juste devenu sarkozyste.

*Sarkozy côté vestiaires, édition Plon, mai 2010