"Sapin 2", une loi pour réconcilier la gauche ?

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Michel Sapin présente un projet de loi comportant pas moins de 57 articles, et qui devrait pourtant emporter l'adhésion d'une large majorité. © JOEL SAGET / AFP
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Après les tumultes de la loi Travail, le texte présenté lundi fait à peu près consensus à gauche. Reposant, pour le gouvernement. Mais pas suffisant

Le gouvernement s’apprête à présenter lundi à l’Assemblée nationale un projet de loi, et, ô miracle, ni les frondeurs du PS, ni la gauche de la gauche ne semble prêts à monter au créneau pour pourfendre le texte. Le "projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique", dite "Sapin 2" fait en effet largement consensus à gauche, et après l’éprouvant débat sur la loi Travail, qui n’est toujours pas clos, le gouvernement savoure.

  • "Esprit du Bourget", es-tu là ?

"Il n’est pas conçu pour cela mais il intervient dans un moment où il va faire du bien à la gauche", se félicite Sébastien Denaja, rapporteur du projet de loi à l’Assemblée nationale dans L’Opinion. Le député de l’Hérault va même plus loin - et s’enflamme un brin - en convoquant l’"Esprit du Bourget", en référence à la fameuse phrase ("mon adversaire, c’est le monde de la finance") lancée par le candidat François Hollande lors de la campagne de 2012. "C’est un texte qui s’insère dans un récit. On lutte contre la finance dévoyée. Il tient la promesse de François Hollande du Bourget", prétend l’élu socialiste.

Le texte, il est vrai, a beaucoup d’atout pour fédérer à gauche. D’autant que les modifications ajoutées en commission sont allées dans le même sens. Les députés ont ainsi remplacé le dispositif de transaction pénale, qui devait permettre aux entreprises mises en cause dans des affaires de corruption de payer une amende pour s'éviter un procès, par une "convention judiciaire d'intérêt public" qui laisse une place plus importante aux magistrats. Le texte crée aussi un cadre de protection renforcé pour les lanceurs d'alerte, dont le rôle a été récemment mis en évidence dans l'affaire des "Panama Papers". Il encadre également davantage l'activité des représentants d'intérêt (lobbyistes) qui devront déclarer leurs activités dans un répertoire numérique pour rencontrer ministres, membres de cabinet, parlementaires ou hauts fonctionnaires.

>>> Pour tout savoir sur ce que contient la loi Sapin 2, c’est ici

  • "On ne s’enflamme pas", dit la gauche de la gauche

Inutile de dire que la gauche de la gauche, que ce soit les communistes, les écologistes ou les frondeurs ne sont pas aussi dithyrambiques que peut l’être Sébastien Denaja. "Ce n’est pas une loi qui comporte des aspects qui posent problème. De là à parler d''esprit du Bourget', qu’il se calme", tempère ainsi Laurent Baumel, député PS frondeur. "De toute façon, maintenant, ils peuvent faire ce qu’ils veulent, c’est trop tard. Il y aura un débat sur la candidature de François Hollande en 2017. Ce n’est pas une bonne loi qui va changer les choses."

La loi Sapin 2 comporte des avancées notables. Par rapport à la loi Travail, c’est le jour et la nuit", admet de son côté Sergio Coronado, élu écologiste. "Mais il ne faut pas exagérer non plus. D’ailleurs, cette loi est d’abord un contre-exemple de la loi Travail en termes de méthode. On voit bien la différence quand on voit une vraie volonté de dialogue, mené par Michel Sapin, qui est un mastodonte, qui a l’oreille de François Hollande et donc sur qui Manuel Valls ne peut pas avoir de prise", poursuit le député, qui cible prioritairement le Premier ministre. "La loi Sapin va sans doute être adoptée avec une majorité large. Cela démontre par l’évidence qu’une majorité de gauche est facile à trouver. Et que quand il y a un blocage, il vient du Premier ministre, qui n’hésite pas à maltraiter, humilier, mettre à mal cette majorité." La tension semble donc loin d’être retombée.

  • Des (petites frictions) à prévoir

Sur un projet qui comporte pas moins de 57 articles, les désaccords sont inévitables, même s’ils ne sont pas fondamentaux. Quelques bras de fer sont ainsi à prévoir, par exemple sur la rémunération des dirigeants d'entreprises, qui s'est ajoutée au menu du projet de loi. Finalement décidé à légiférer après les nouvelles polémiques concernant Carlos Ghosn (Renault) et Carlos Tavares (PSA), l'exécutif a opté pour rendre contraignants, via un amendement socialiste, les avis des assemblées générales d'actionnaires. En revanche, le gouvernement dit "non" à des amendements de Karine Berger (PS) ou du Front de gauche, proposant d'encadrer le montant de ces rémunérations, ce qui "serait censuré par le Conseil constitutionnel", selon Michel Sapin, ou encore d'alourdir la fiscalité des actions gratuites.

Autre débat en vue entre l'exécutif et sa majorité, la transparence accrue pour lutter contre l'évasion fiscale. Les rapporteurs socialistes, Sébastien Denaja, Romain Colas et Dominique Potier vont proposer de rendre public le "reporting" financier des activités des multinationales dans tous les pays, comme le demandent les ONG très actives sur cette question. Mais Michel Sapin se montre prudent, souhaitant que cette obligation s'impose dans le cadre d'une directive européenne qui vient tout juste d'être proposée.

Les artisans en colère. Quant à la droite, elle devrait surtout batailler sur le combat des artisans contre les mesures pour assouplir les règles d'entrée dans certains métiers, qui seront défendues par le ministre de l'Economie Emmanuel Macron. Celles-ci font craindre à l'Union professionnelle artisanale (UPA) un "nivellement par le bas" et une "concurrence déloyale". Le problème majeur pour le gouvernement, c’est que l’UMP a aussi trouvé du soutien à gauche, puisque l'ex-ministre de l'Artisanat Sylvia Pinel, membre du PRG, a l'intention de demander leurs suppressions.

Mais tout cela n’est finalement que menu fretin par rapport à ce qu’a connu le gouvernement ces dernières semaines. Au final, la loi devrait être adoptée à une large majorité. La trêve, cependant, sera courte. Car dès le mois de juillet, les hostilités vont  reprendre. La loi Travail repassera en effet pour la deuxième fois devant l’Assemblée nationale. Avec le retour de la menace du 49-3 et d’une motion de censure venue de la gauche. L’ambiance, alors, sera radicalement différente.